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M. Karl-Heinz LAMBERTZ

Président du Comité européen des Régions

Vous fêterez vos 25 ans en 2019, pourriez-vous revenir sur la création de votre institution, ses évolutions et votre positionnement aujourd’hui face aux autres institutions européennes.

 

En Europe, comme partout ailleurs, tout est en évolution. Le comité des régions a été créé en 1994 par le traité de Maastricht pour donner une voix aux collectivités territoriales.

A l’époque sa création n’a pas été une évidence, Il y avait à la fois des gens convaincus de son inutilité comme il y avait des gens qui voulaient en faire un véritable organe de décision.

Le comité a donc été créé sous forme d’organe consultatif tout comme le comité économique et social et depuis lors il a essayé de chercher sa place et je crois qu’il l’a progressivement trouvé. Le comité a le privilège de devoir être interrogés sur toutes les initiatives de la commission qui concernent les collectivités territoriales mais personnes n’est obligé de suivre ses avis. Alors si l’on veut avoir un impact, la voix est assez simple, il faut faire le nécessaire pour que ceux qui décident soient prêts à vous écouter.

C’est donc un travail de relationnel  très intense à faire avec le parlement, la commission et le conseil . D’autre part vous devez essayer de convaincre par la qualité de ce que vous dites et là, le grand point fort de ce comité est qu’il est le porte-parole des institutions démocratiques les plus proche du citoyen européen.

Le citoyen européen ne vit pas au conseil ni au parlement européen, il vit là où les collectivités territoriales déploient leurs activités et c’est là qu’il va finalement juger l’Europe : « Est-ce qu’elle est quelque chose de positif qui améliore ma vie, qui me donne de l’espoir, pour moi, ma famille et mes petits-enfants ou alors c’est quelque chose qui m’ennuie, des contraintes inutiles, qui m’empêche d’évoluer et qui a même eu comme conséquence de pousser les standards sociaux vers le bas ».

Par la qualité de nos avis, nous pouvons essayer de faire entendre le point de vue des citoyens et des organisations locales et régionales. Puis, peut-être le plus important à la fin, vous pouvez avoir des idées géniales et vous pouvez aussi avoir trouvé les accès pour donner un avis et vous faire écouter mais le poids de ce que vous dites dépend finalement ce que vous avez derrière vous.

Le vrai point fort c’est le fait qu’il y ait dans l’union européenne, quelques 150 mille autorités locales, quelques 300 régions et si toutes ces autorités, toutes ces collectivités, deviennent conscientes qu’elles ont quelque chose à faire avec notre comité pour faire évoluer les décideurs européens alors cela devient quelque chose qui a un certains poids.

L’histoire de notre institution, c’est un peu les législatures mais surtout nous devons améliorer notre efficacité,  et nous voulons un processus de ce genre. Si pour le moment c’est peut-être devenu encore un peu plus facile parce qu’on sent qu’en Europe quelque chose ne tourne pas rond et l’on sent aussi que c’est auprès du citoyen que ça ne marche pas. Cela ouvre une fenêtre pour donner du poids à ce que ressentent et disent les citoyens et c’est ça que nous voulons faire par différentes opérations que nous avons lancées.

 

C’est réduire en fait l’écart entre le citoyens européens et les institutions européennes ?

 

Oui il y a un « gap » mais il faut surtout constituer l’inter connectivité. Il faut d’une part que le citoyen comprenne ce que fait l’Europe, et parfois l’Europe a vraiment un art de s’expliquer d’une façon telle que au plus ce qui le disent se comprennent et d’autre part il faut aussi que ce que disent souvent d’une manière très simple les gens arrive jusqu’ aux oreilles et aux cerveaux des décideurs européens et là il reste encore des choses à faire, même à l’ère de la communication mondiale digitalisées toutes les connexions ne sont pas toujours en place.

 

Vous avez lancé une très importante consultation intitulé réflexion sur l’Europe, on voit déjà que des résultats assez importants arrivent. Avec le positionnement que vous avez je pense à la task force sur la subsidiarité avec la possibilité de faire fonctionner ou en tout cas là c’est plus qu’une consultation puisque ça peut être quasiment une possibilité de blocage avec cette consultation. Aujourd’hui qu’attendez-vous de cette consultation ? Assumerez-vous l’entièreté des résultats vous en obtiendrez puisqu’il y a toujours un risque à consulter et comment allez-vous vous servir de cette consultation vis-à-vis des institutions européennes ?

 

Avant de parler de cette initiative « réfléchir sur l’Europe » peut-être un mot sur la manière de participer à ce genre d’opération qui sont une opportunité mais évidemment un risque. Quand on joue dans une pièce en a toujours un risque.

Nous avons déjà plusieurs fois pu être associés utilement à des réflexions de changements au niveau européen. Je pense à la task force sur la diminution de la bureaucratisation il y a quelques temps, je pense à une initiative en matière de mise en œuvre des règlements sur la pression de la nature le « Natural 2000 » et maintenant avec la taskforce subsidiarité ça devient vraiment une pièce maîtresse qui va être créée. La commission a décidé de créer cette taskforce, elle a invité trois partenaires, deux ont acceptés de venir : les parlements nationaux via leur association et le comité des régions. Le parlement européen n’a pas décidé de s’associer pour un tas de raisons qui lui sont propres. Pour nous c’est une énorme opportunité pour deux raisons : nous sommes déjà par le traité de Maastricht et plus encore celui de Lisbonne un peu les gardiens de la subsidiarité. Nous avons la possibilité d’intervenir dans les procédures de contrôle et nous avons surtout ce droit très fort d’aller devant la cour de justice. Un droit dont il est d’ailleurs parfois plus intelligent d’évoquer uniquement l’exercice que de le faire effectivement, mais on est actuellement sur une question où il n’est pas exclu qu’une fois on fasse ce pas. Mais subsidiarité c’est déjà aujourd’hui quelque chose qui joue un très grand rôle dans notre travail tout comme ça joue un très grand rôle dans le travail de pas mal de collectivités territoriales notamment dans les parlements à pouvoir législatif qui en suivant la situation de droit interne jouent parfois un rôle très actif.

 

Nous sommes un peu dans le cœur de notre raison d’être, mais plus important encore, même s’il est difficile de définir ce qu’est la subsidiarité et même si derrière la vocation de ce principe se cachent souvent des objectifs politiques très divergents, une chose est certaine, il ne faut pas être un auteur de thèse de doctorat pour savoir que subsidiarité veut dire que l’on commence d’abord à exercer les compétences là où on est au plus près du citoyen. Et là nous sommes au niveau des collectivités territoriales donc c’est le point de départ. Quand j’ai décidé que les pouvoirs publics doivent s’occuper de quelque chose, et parfois il vaut mieux laisser les gens faire le travail mais il y a aussi des grands besoins d’actions politiques et publiques, alors la subsidiarité vous dit regardons d’abord si ça peut être fait par les collectivités territoriales et puis il faut des raisons objectives ou à objectiver ou objectivables pour dire non cela il faut plutôt agir un niveau national ou au niveau européen. La subsidiarité est donc une méthodologie, il faut donner les instruments, il faut donner une rationalité. Cependant, ça reste toujours aussi à la fin un choix politique parce que suivant l’option que je prends pour une certaine politique j’ai un besoin d’action au niveau européen ou au contraire il ne faut surtout pas agir à ce niveau-là. Il y a là un beau débat à faire et la définition des tâches de la task force ont été faites d’ailleurs d’une manière très pragmatique en trois parties,  d’abord améliorer la technique du contrôle de subsidiarité « ça c’est une chose pour les experts de la subsidiarité et il y a beaucoup à dire là-dessus. » ensuite : que faut-il régler au niveau européen et que faut-il régler au niveau étatique et sub nationale ça c’est le vrai débat sur le rôle de l’union européenne et puis dernier point plus technique aussi mais il nous concerne de manière existentielle : quel rôle doivent jouer dans ce débat (la subsidiarité) les collectivités territoriales et le fait qu’on pose la question a déjà une signification.

Cette question veut dire au moins deux choses : les collectivités territoriales ne sont pas seulement et exclusivement une question d’organisation interne d’un état. C’est quelque chose qui peut avoir une signification au niveau de la manière de gérer le destin européen et si cela est le cas alors ça veut dire aussi, si on réfléchit un peu plus loin, qu’il faut absolument des formes de décentralisation pour que ça puisse fonctionner.

Et là, regardons les 27 états de l’union européenne après le brexit, ou regardons les 47 états du conseil de l’Europe où cet exercice est fait aussi. Alors vous voyez une énorme diversité et le comité des régions peut-être un lieu où cette diversité est connue, où on travaille sur cette question, où on fait des comparaisons, où on élabore des stratégies, où on a des idées qui sont des idées solides basées sur le vécu quotidien de tous. Là c’est un objectif vraiment passionnant. Alors va-t-il conduire à la grande solution pour tous les problèmes européens ? si vous me posez la question je dirais que ça peut être un succès, ça peut être en tout cas un moment de clarification. Et pour nous ça sera en toute hypothèse quelque chose qui nous servira beaucoup pour la réflexion sur notre propre avenir.

 

Je crois qu’il y a fondamentalement deux aspects quand je regarde le problème social par rapport à l’Europe. Il y a des enjeux dont l’Europe doit avoir la maîtrise et puis il y a aussi tout le reste où il faut surtout voir quels aspects de la politique dans ce secteur social environnemental économique doit être réglé au niveau national et sub national ou doit être gérée en Europe. Et ça c’est un beau débat et c’est vraiment celui sur le devenir de l’Europe.

 

Cette consultation me parait primordiale et vraiment importante pour sensibiliser le citoyen et en plus à la veille des élections européennes ? Mais comment faire passer encore plus le message de dire que vous avez un vrai poids et qu’il faut qu’ils parlent maintenant tous parce que grâce à vous ils vont être entendus ?

 

D’abord pour repositionner et recadrer les choses, c’est une tentative de clarification qui peut déboucher sur les résultats mais personne ne pourra vous dire ce que l’on fera de ces résultats.

La seule chose que nous savons c’est que si nous finissons à temps, la présidence autrichienne a dit qu’elle veut faire de ce débat pendant les six prochains mois une priorité de sa réflexion. Mais je crois plus fondamentalement que l’Europe devrait maintenant avant les élections européennes parvenir à régler un certain nombre de choses pour qu’elles soient bien sur les rails. Par rapport aux citoyens je n’ai pas le sentiment qu’il va maintenant changer d’avis sur l’Europe parce que quelque part des gens plus ou moins intelligents réfléchissent sur la subsidiarité. Non moi je crois que pour le citoyens la chose est en fait plus simple : aussi longtemps que dans sa tête l’Europe c’est Bruxelles, Luxembourg ou Strasbourg « ces gens à Bruxelles » et aussi longtemps qu’il n’a pas compris que le vrai acteur européen ça doit être lui-même là où il vit avec ses responsables locaux et aussi longtemps que chaque maire, chaque responsable régional, ne se conçoit pas aussi fondamentalement comme un politicien européen on ne sera pas arrivé à une bonne destination. Les gens vivent la politique comme un résultat et quand vous leurs expliquez non ce n’est pas moi c’est l’autre, c’était pas moi le maire c’est le président de la commission européenne ou les ministres x ou y. Vous pouvez tenir des discours mais vous n’allez pas convaincre les gens de la valeur de la politique. Il faut que le tout soit intégrée et là ce qui se fait en Europe doit être vraiment compris et aussi implémenté au niveau local et régional. Ce qui se passe là-bas doit être la base ce qui se décide en Europe ou en tout cas une des bases de ce qui se dessine en Europe et ce processus là est grippé.

Alors avec Reflexion sur l’Europe on essaye de faire évoluer les choses, aussi sans trop d’illusions, combien de tentatives de dialogue citoyen n’a-t-on pas déjà vécu depuis une quinzaine d’années. Des centaines et des centaines d’initiatives par la commission, par le parlement, par les bureaux nationaux d’information, par tout le monde, par des initiatives citoyennes, des associations, beaucoup de gens font ça. La chose dont on parle le plus maintenant c’est l’initiative lancée par le président français avec ses conventions démocratique qui deviennent maintenant des consultations citoyennes donc déjà sémantiquement ça devient très intéressant d’analyser. Il y a vraiment une certaine impuissance qui se traduit par le fait que tout le monde est en train de vouloir imaginer des dialogues mais c’est en même temps aussi une nécessité et une opportunité, je crois que les décideurs européens et nationaux aujourd’hui sont beaucoup plus conscients qu’avant qu’il y a vraiment nécessité de faire cela et aussi au comité des régions nous avons répondu à une demande de Monsieur tusk à l’époque. Nous avons essayé avec nos moyens, avec nos membres, avec nos possibilités d’action dans les collectivités de faire quelque chose et d’initier les débats. Mais pour nous maintenant la chose la plus importante est d’atterrir. On s’est déjà créé la piste sur laquelle on veut atterrir, notre piste c’est notre débat annuel sur l’état de l’union vu par les collectivités territoriales que nous avons fait la première fois en octobre 2017 et allons répéter en 2018, nous allons le faire culminer par un message très fort lors du prochain sommet des villes et régions d’Europe avant le grand sommet les états et des chefs d’état de gouvernement. Puis on va refaire un débat en octobre 2019 avec alors le nouveau parlement et la nouvelle commission. Maintenant nous essayons de condenser les messages pour éviter à la fois le piège de trop de technicité mais aussi le piège, au moins aussi grand, de trop de phrases formulant des banalités et ça c’est un effort que l’on doit faire maintenant et ce n’est pas si simple que ça. Mais l’essentiel est aussi d’être tellement à l’écoute qu’on perçoive aussi une nuance, un débat citoyen au sud de l’Italie n’est pas le même qu’un débat dans l’est de la Pologne ou au centre de l’Allemagne ou à l’ouest de la France.

Est ce qu’on peut dire que l’une de vos missions aujourd’hui pendant votre mandat est de convaincre encore plus d’élus territoriaux ?

 

Par rapport à notre mission et à notre capacité structurelle notre premier destinataire c’est l’élu régional et local. Nous essayons beaucoup, moi-même, le premier vice-président et d’autres responsables d’être présent dans les associations d’élus. J’ai visité une activité par exemple dans le cadre de la conférence des maires de France et on reçoit régulièrement des associations de communes grecque, allemande ou polonaise, c’est très important d’avoir des contacts avec les associations mais aussi avec les gens eux-mêmes. Évidemment on ne peut pas faire un rendez-vous avec chacun des 150 000 maires, mais avoir parfois l’occasion de discuter avec une centaine de maires en une demi-journée c’est quelque chose qui est extrêmement riche en enseignements.

 

Est-ce que vous pensez aujourd’hui que les membres du comité ou ceux que vous représentez sont satisfaits ? est-ce que vous avez des moyens de juger ou d’analyser cette satisfaction ?

 

Il ne me faut pas beaucoup de moyens de mesure pour savoir qu’on a encore du chemin à faire, mais on mesure quand même un peu et là il y parfois des résultats réjouissants mais il faut qu’on avance beaucoup plus. C’est un travail titanesque et il faut recommencer tout le temps parce que les élus changent, mais c’est bon, c’est ça qui est concret. Il faut essayer de cumuler les possibilités, pour tous nos membres, d’être dans les situations où ils peuvent parler avec les collègues ou les citoyens de ce que sont les grands enjeux au niveau de l’Europe à ce début de XXIème siècle et ce qu’on peut faire concrètement sur place concernant des sujets comme le climat, comme l’investissement public, comme la justice sociale sur les sujets qui ont justement une nature assez appropriée pour faire l’objet de ce genre d’exercice.

 

Que pensez-vous du cadre financier pluriannuel annoncé concernant les fonds de cohésion ?

 

Il faut aborder vraiment avec toutes les cornes disponibles la politique de cohésion ! c’est fondamental ! C’est prioritaire ! Nous sommes de farouches défenseurs de la politique de cohésion. Nous avons pris clairement position, nous avons dit que nous voulons dans le futur une forte politique de cohésion doter de moyens substantiels et ouverte à toutes les régions sans aucun genre de conditionnalité. Ça c’était un message fort qui est largement partagée, nous voyons beaucoup de gens qui défendent l’essentiel de cela notamment récemment par une résolution commune des länder allemands et des régions françaises qui sont quand même déjà pas rien en Europe. Par ailleurs, on sait aussi qu’à la fin de tout ça, on va parler de sous et quand on parle d’argent l’amitié souvent se restreint un peu. On regarde ce que ça rapporte. Mais ce débat sur les perspectives financières à long terme est fondamental. Maintenant hélas nous avons vraiment quelque chose à défendre et ça ce n’est pas tellement dans le cadre d’une task force de subsidiarité. Ça c’est plutôt notre dispositif d’action ici avec des rapporteurs très actif sur les différents aspects. Nous avons surtout lancé ce qu’on appelle une « Alliance pour la cohésion » où nous essayons sur neuf points précis de rassembler un maximum de gens et je passe beaucoup de temps à assister à des signatures pour cette Alliance. Nous voulons opérer des pressions sur ce sujet qui sont nécessaire, parce que rien ne vient tout seul. Les budgets sur 2020- 2030 sont en préparation, c’est le fond du débat et avec la sortie de l’Angleterre nous savons maintenant que ces budgets vont se restreindre un peu.

 

Sur le budget de l’Europe je dirais deux choses : d’abord si l’Europe-est vraiment le grand jet historique de notre continent tel qu’il a été conçu après la 2ème guerre mondiale et tel qu’il a pu quand même se maintenir après l’élargissement avec plus de difficultés qu’avant et telle qu’il a même survécu à la crise aussi.

 

Alors il y a une évidence ! Qui peut croire réellement que ce genre de projet se fait avec un budget équivalent à 1% du PIB européen ? c’est en fait ridicule. Et si nous voulons sortir de ce débat pourri des contributeurs nets alors qu’en réalité tout le monde était bénéficiaire nette de l’Europe, comme l’a dit récemment le ministre des affaires étrangères allemand dans une tribune, et ce n’est pas sans importance que ça vienne de ce côté-là. Si nous voulons sortir de ça nous devons avoir un vrai système de ressources propres.

Nous n’aurons pas de miracle, nous aurons par contre les conséquences du brexit, nous aurons un besoin de financement pour des tâches nouvelles et nous devrons quelque part atterrir avec un budget entre 1,1 % et 1,3%, comme l’a demandé le parlement.

Il nous faudra avoir de la créativité et des idées pour maintenir notre politique en vie et continuer à développer. C’est aussi un sujet sur lequel le comité passe pas mal de temps.

 

 

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