Retrouvez-nous sur :

L’INSTITUT DU GOÛT – Mme. Natacha POLONY

Présidente

Vous êtes aujourd’hui la Présidente de l’Institut du Goût, comment en êtes-vous arrivée là ?

Jacques Puisais, fondateur de l’Institut Français du Goût et inventeur du concept de l’éducation au goût pour les enfants, m’a demandé au printemps 2018 de prendre sa succession à la présidence de l’Institut. Voilà plus de dix ans que je le côtoie et apprends à ses côtés. J’étais déjà sensibilisée, par mon éducation, aux plaisirs de la table, et plus précisément à ce choix à la fois culturel et politique qui consiste à faire de l’alimentation un des investissements essentiels du foyer, en terme de temps et d’argent. De même, c’est par mes parents que j’ai appris à connaître la diversité géographique, et donc alimentaire de la France. Ils m’ont sensibilisée à cette spécificité française : le compréhension séculaire du terroir, c’est-à-dire du mariage entre des données climatiques et géologiques et un savoir-faire humain.Enfin, mon passage par l’éducation nationale, puis mes années de journaliste spécialisée dans les questions d’éducation m’ont permis d’approfondir un sujet qui est pour moi le plus essentiel, celui de la transmission et du rôle émancipateur du savoir. Or, le goût et la capacité à nommer les sensations, qui sont au cœur du travail de l’Institut du Goût, rejoignent parfaitement cette certitude qui m’habite, que la maîtrise de la langue, la possibilité pour un individu de penser le monde qui l’entoure et de le mettre en mots, est un des fondements de cette liberté que doit construire l’école.

J’ai, depuis, rencontré en la personne de Jacques Puisais un de ces hommes que les Japonais appellent « trésor vivant », un philosophe et un humaniste du goût autant qu’un biologiste curieux de tout. Depuis la création de l’Institut Français du goût en 1976, il développe cette intuition – qui est enfin partagée par les pouvoirs publics – que l’individu ne peut s’émanciper que s’il prend conscience de ce qui se passe en lui lorsqu’il se nourrit et s’il reprend la maîtrise de sa consommation. Le travail de l’Institut du Goût, depuis sa création, a donc consisté à mêler la recherche scientifique et la réflexion pédagogique pour développer une compréhension fine des mécanismes qui sont à l’œuvre dans l’acte alimentaire en insistant sur la dimension poly-sensorielle du goût, et préparer des hommes libres et des citoyens responsables de leur consommation.

 

Quelle est votre feuille de route pour faire entrer le goût dans les écoles ? et quels sont vos objectifs pour demain ?

Les Classes du Goût ont été conçues dès l’origine par Jacques Puisais comme l’outil privilégié pour sensibiliser les futurs adultes. Les enfants de 7-8 ans, dès lors qu’ils sont en âge de maîtriser le vocabulaire et sont encore ouverts à la découverte, pas encore formatés par l’industrie, sont un public idéal. Depuis 1975, l’Institut Français du Goût s’est donc employé à mettre en œuvre une pédagogie spécifique appuyée sur la formation des enseignants, de façon à ce qu’ils intègrent le goût dans les notions d’ensemble qui animent leur travail. Nous avons tous les outils nécessaires pour former ces enseignants et leur permettre, de façon autonome, de susciter chez les élèves des questionnements essentiels. Hélas, pendant très longtemps, ce travail est resté confidentiel du fait du peu d’implication des politiques, qui n’avaient aucune conscience de l’importance de ces sujets. Les heures de formation des enseignants ont été rognées, l’élan n’était pas suffisamment donné. Aujourd’hui, nous voyons à quel point le travail de l’Institut Français du Goût était novateur et visionnaire. Le fait de partir de l’enfant, de ses sensations, pour lui apprendre, non pas des règles nutritionnelles ou une norme alimentaire, mais pour l’inciter à se demander si le produit qu’il ingère lui parle, lui raconte son histoire, son lieu d’origine, son authenticité.

Nous sommes donc en train de redéployer nos formations pour les proposer à davantage d’enseignants. Nous allons également associer les collectivités locales, dans la mesure où ce sont elles qui gèrent les établissements scolaires, et en particulier les cantines, qui doivent devenir la première porte d’entrée, pour l’enfant, dans un processus d’éveil sensoriel.

 

Le goût et son apprentissage peuvent-ils être un facteur d’intégration pour des enfants issus d’autres cultures ? et comment peuvent-ils contribuer à former le citoyen de demain ?

Le développement de la sensorialité de l’enfant à travers l’éveil au goût est en effet le meilleur facteur d’intégration qui soit. Partager un repas en vivant au même moment les mêmes sensations, tout en comprenant que l’autre ne perçoit pas forcément comme soi, qu’il peut être plus acide ou plus amer, plus sensible à certains signaux, c’est entrer dans la prise en compte de l’altérité et faire un premier pas vers l’empathie. Mais surtout, l’éveil au goût, appuyé, comme le fait la pédagogie de l’Institut du Goût, sur l’attention portée à l’authenticité du produit, à son histoire et sa géographie, permet à chacun de comprendre qu’il sera partout chez lui du moment qu’il comprend le climat de l’endroit, et la sensorialité qui y est attachée. C’est le véritable droit du sol. Partout où l’homme arrive, il peut percevoir la lumière spécifique du lieu, ses vents, sa géologie, que lui restituent les produits. Et il s’intègre en s’ouvrant à ce lieu, en le comprenant intimement. C’est aussi par ce travail qu’il peut apprendre à respecter le lieu, la saison, tout ce qui ne dépend pas de lui et que les processus industriels tentent de gommer. Ce faisant, il s’ouvre à la fois à l’autre qui est aussi son semblable, et à cette terre dont il perçoit à quel point il faut en préserver l’intégrité. On trouve là tous les enjeux qui feront le monde de demain.

 

Quelles sont pour vous les différences entre l’éducation au goût et l’éducation nutritionnelle ?

La différence est fondamentale même si elle n’est pas encore bien perçue par les pouvoirs publics. L’éducation nutritionnelle consiste à expliquer aux enfants la valeur de chaque aliment en terme de calories, de sucres, de protéines. Il s’agit d’un discours de santé publique que l’enfant va plus ou moins absorber, mais qui ne changera rien à sa façon de consommer. Si les produits saturés de gras et de sucre réveillent en lui des pulsions, aucun discours nutritionnel ne viendra les contrer, sauf à créer une frustration qui à un moment donné aura sa contrepartie. Au contraire, l’éducation au goût par l’éveil sensoriel apprend à l’enfant à trouver son plaisir dans la subtilité d’une consistance croustillante ou moelleuse, dans la délicatesse d’un arôme d’herbe ou de fleur, dans une multitude de sensations qui lui appartiennent en propre. Il apprend à se faire plaisir avec un vrai morceau de pain craquant, ou avec un verre de lait qui ait véritablement du goût. Et il se détournera spontanément des produits mensongers et des calories vides qui ne lui apporteront plus rien.

 

Les Classes du Goût peuvent-elles sortir de l’hexagone et s’adapter à d’autres cultures alimentaires ?

Selon cette idée que la sensorialité est l’apprentissage du vrai droit du sol, elle est absolument universelle. Chaque pays peut découvrir ses terroirs, chaque région a ses produits, qui sont le reflet de sa géographie. Les Classes du Goût sont donc l’instrument pour comprendre le lieu où l’on est et s’y sentir bien. La pédagogie qu’elles déploient peut s’adapter à n’importe quelle culture alimentaire, ce qui explique que le programme marche aussi bien en Guadeloupe et en Polynésie qu’en métropole. Les développer au niveau européen serait la meilleure façon de créer un lien entre les différents pays du continent, puisque chaque enfant, conscient de la spécificité de son patrimoine, serait préparé à s’ouvrir à ceux des autres pays européens. C’est le meilleur moyen de créer un lien entre les jeunes Portugais et les jeunes Danois, entre les jeunes Grecs et les jeunes Irlandais, que de les préparer à découvrir et aimer le patrimoine alimentaire européen plutôt que de les laisser sous l’emprise d’une uniformisation qui ne conduit qu’à l’ignorance et l’indifférence.

 

Contact:
Projects and Training Director
Nathalie Politzer
Institut du Goût, 28 Avenue Aumont, 60500 Chantilly, France
E-mail : npolitzer@idg.asso.fr

Spread the news