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Hydrogene

A bridge between the electricity and gas networks

Article signé Camille Guittonneau, Élève-ingénieure à Centrale Supélec

L’Union européenne s’est fixée l’objectif de « porter à 32% la part d’énergies renouvelables (EnR) dans la consommation énergétique totale » d’ici à 2030 ce qui implique une forte augmentation de la puissance renouvelable installée dans le parc européen.

Ces changements dans les moyens de production installés, du fait de l’intermittence et du caractère difficilement contrôlable de ses sources compliquent la gestion de l’équilibre offre-demande du marché de l’électricité. En particulier, un surplus de 15 TWh annuels pourrait être atteint en France à l’horizon 2030. Pour des raisons d’équilibre du marché, ce surplus devra être absorbé.

Une première approche pour résoudre ce problème est l’utilisation de moyens de stockage classiques de type STEP ou batteries, mais la saturation des puissances installées en pompage-turbinage et le coût des batteries incite à étudier d’autres moyens de valorisation du surplus d’EnR.

Une seconde approche est l’étude du couplage gaz-électricité via la technologie power to gas, c’est-à-dire la production de gaz (H2) à partir d’électricité. Puisque l’équilibre offre-demande instantané du marché du gaz n’est pas nécessaire, cette approche pourra permettre de répondre à la gestion du surplus EnR.

Dans cet article, zoom sur les différents moyens de production d’hydrogène par l’électricité, sur l’intérêt du power to gas et sur les conséquences politiques et économiques de l’insertion du power to gas.

 

A l’interconnexion entre les réseaux électriques et gaziers : l’électrolyse

La première étape des technologies power to gas est la transformation du surplus d’électricité en hydrogène (H2). Le processus chimique à l’origine de cette transformation est l’électrolyse de l’eau. Elle permet de convertir le surplus d’électricité en hydrogène.

Il est possible de coupler un électrolyseur en amont avec une alimentation électrique renouvelable DC (panneaux photovoltaïques, éoliennes). Aujourd’hui, de nombreux électrolyseurs de petite et moyenne capacité (1 à 100kW) ont été développés. Ils peuvent être utilisés à l’échelle d’un quartier.

 

Principe général de l’électrolyse

L’électrolyseur comporte deux électrodes : une anode et une cathode. Il est couplé en amont avec une source d’énergie renouvelable DC (éoliennes ou panneaux photovoltaïques).

L’apport d’énergie électrique dépend essentiellement de l’enthalpie (ΔH = 285 kJ/mol). Les énergies électrique (237,2 kJ/mol) et thermique (48,6 kJ/mol) sont converties en énergie chimique. La variation d’entropie pour cette réaction est de 0,163 kJ/mol.

Le potentiel minimum requis est E° = 1,23V (dans les conditions normales de température et de pression). En effet, E° = -ΔG°/nF avec ΔG = ΔH – TΔS, n le nombre d’électrons mis en jeu et F la constante de Faraday. Avec des potentiels de cellules de l’ordre de 1,7 à 2,1V, on peut obtenir un rendement d’électrolyse de 70 à 85%. Le CEA a même développé une technologie SOEC capable d’obtenir un rendement de plus de 90%.

La tension réelle de fonctionnement dépend également de l’intensité du courant, de la résistance interne de l’électrolyseur et des tensions de polarisation.

Il est possible d’effectuer une électrolyse de petite à moyenne capacité (1 à 100 kW). La puissance consommée est généralement de 4 à 5 kWh/Nm3 d’hydrogène produit.

L’électrolyse est faiblement exothermique.

Il peut être intéressant pour un opérateur Power to gas de combiner différentes technologies afin de tirer les avantages de chacune de ces technologies. Ainsi, sur le site pilote Jupiter 1000, GRT Gaz combine l’électrolyse alcaline et l’électrolyse PEM. Un mélangeur assure la stabilité du mélange.

 

L’électrolyse alcaline

Electrodes Nickel/Fer
Diaphragme Amiante, nickel fritté ou toile microperforée
Température 40 à 90°C
Pression d’hydrogène Jusqu’à 30 bar
Durée de vie 50 000 à 90 000 heures soit 5,7 à 10,3 années en continu
Puissance disponible Jusqu’à plusieurs MW
Puissance consommée 4,5 à 5 kWh/Nm3 d’hydrogène produit
L’électrolyse alcaline présente une contrainte : l’électrolyseur nécessite d’être chauffé de manière continue.

 

 

L’électrolyse PEM

Electrodes Platine, Iridium, Ruthenium
Température Jusqu’à 100°C
Pression d’hydrogène Jusqu’à 200 bar
Durée de vie Plus de 40 000 heures soit 4,6 années en continu
Puissance disponible Jusqu’à plusieurs MW
Puissance consommée 4,5 à 9 kWh/Nm3 d’hydrogène produit
L’électrolyse PEM (Proton Exchange Membrane) est particulièrement adaptée au couplage à une source d’énergie renouvelable car elle supporte mieux les variations de puissance électrique disponible que l’électrolyse alcaline. En effet, les électrolyseurs pour le Power to gas doivent pouvoir absorber les pics de production et, pour cela, avoir une puissance de crête importante.

Cependant, la technologie PEM est beaucoup plus chère que la technologie alcaline.

 

 

L’électrolyse SOEC

La technologie SOEC (Solide Oxide Electrolyzer Cell) consiste à effectuer l’électrolyse de la vapeur d’eau à très haute température (500 à 900 °C). A cette température, l’eau se décompose en H2. Ceci permet de réduire les besoins électriques de 16% environ. Cette technologie est destinée à être couplée à un système solaire à concentration.

 

Intérêt du Power to gas

Le Power to gas s’inscrit dans un contexte de croissance des besoins en énergie, notamment avec l’extension des technologies domestiques, d’augmentation de la part des EnR dans le mix énergétique et donc de problématiques liées au stockage des surplus résiduels, et d’objectifs de réduction des émissions de CO2 (COP21).

L’hydrogène obtenu après électrolyse peut être utilisé directement dans l’industrie, injecté dans le réseau de gaz naturel, ou encore transformé en méthane.

 

 

Le premier enjeu est le stockage de l’électricité. Les moyens de stockage traditionnels ne présentent ni le volume, ni la flexibilité suffisante pour absorber le surplus d’électricité. La transformation de l’électricité en hydrogène permet de valoriser une énergie qui serait perdue, faute de stockage.

Il est possible de stocker des capacités importantes sur le réseau gazier (jusqu’à 8TWh sous forme d’hydrogène) (fig.7). La conversion de l’hydrogène en méthane permettrait de s’affranchir de cette limite. Le gaz stocké pourra être utilisé pour les usages habituels du gaz (cuisine, chaudière) ou reconverti en électricité à l’aide d’une pile à combustible (PAC).

De plus, l’énergie sous forme d’hydrogène peut être stockée pour des durées de l’ordre du mois (fig.5). Sous forme de gaz naturel, le stockage peut même être saisonnier. Ainsi, un surplus d’électricité obtenu en été, quand l’irradiation solaire et donc la production photovoltaïque est maximale, pourrait être stocké jusqu’en hiver.

Ainsi, les projections de GRT Gaz pour 2050 (fig.6) montrent que le surplus de production pourrait atteindre 75TWh, quand le déficit de production pourrait atteindre 27TWh. Le surplus de production, s’il est stocké suffisamment longtemps, peut largement compenser le déficit de production à un autre moment.

La forte saisonnalité de la demande de gaz (demande très forte en hiver) confirme l’intérêt du stockage saisonnier. En France, 30 à 40% de la demande hivernale en gaz pourrait être couverte par le stockage. L’ADEME mise sur le stockage inter saisonnier du gaz pour un mix électrique 100% vert.

Le gaz peut être stocké sous forme de gaz liquide (c’est le cas des terminaux méthaniers), dans des souterrains comme des cavités salines (ce type de réservoir supporte bien l’hydrogène), ou encore dans des stockages aquifères. Le déplacement du gaz dans l’espace permet de minimiser les besoins de stockage.

De plus, l’hydrogène peut être embarqué au sein des véhicules électriques (VE). L’hydrogène contenu dans le réservoir du VE permet de prolonger son autonomie. Ainsi, un VE fonctionnant sur une batterie de 22kW doublée d’une pile à combustible de 5kW voit son autonomie doublée et comparable à celle d’un véhicule thermique.

Cela permet de moins solliciter le réseau électrique (la recharge des VE étant lourde à supporter pour le réseau électrique).

Les VE permettraient également de transporter l’hydrogène donc l’énergie d’un point à un autre. Tout comme les batteries des VE peuvent servir à alimenter le réseau électrique, les réservoirs à hydrogène pourraient être utilisés comme sources d’énergie décentralisées.

On peut imaginer, dans une zone donnée où il y a un déficit en électricité et où de nombreux VE à réservoir d’hydrogène sont stationnés, prélever un peu d’hydrogène dans chacun des réservoirs de la zone afin d’alimenter une PAC pour cette zone. On peut d’ailleurs envisager d’utiliser la PAC d’un VE donné comme interface pour cette opération.

Un réseau de pipelines avec un fort taux d’injection d’hydrogène (indépendant du réseau national de gaz ; appelons le micro gas grid ici) permettrait d’échanger de l’hydrogène entre les VE.

La recharge en hydrogène d’un VE étant très rapide, on peut même envisager de mutualiser tout l’hydrogène présent dans les VE d’une micro gas grid (cet hydrogène serait issu de l’électrolyse du surplus d’électricité dans la zone, ou bien d’une station de recharge), et de restituer à chaque VE son niveau d’hydrogène initial quelques minutes avant le départ.

Les cavités salines supportant très bien l’hydrogène, on pourrait envisager ce type de moyen de stockage pour mutualiser l’hydrogène des VE d’une zone. Les micro gas grids permettraient de créer des zones où le taux d’injection d’hydrogène est très élevé, voire de 100%.

 

 

En effet, les usages résidentiels de l’hydrogène sont les mêmes que ceux du méthane. Cela éviterait donc de recourir systématiquement à la méthanation pour s’affranchir des limites de stockage.

Le deuxième enjeu est la réduction des émissions de CO2. En 2016, l’électrolyse ne représente que 5% de la production d’hydrogène. Actuellement, la majorité de l’hydrogène est obtenue par reformage, une méthode qui génère d’énormes rejets de CO2. La fabrication de l’hydrogène par électrolyse permet d’éviter ces rejets de CO2. De plus, l’hydrogène peut être transformé en méthane en étant associé à du CO2, selon la réaction de Sabatier :
4 H2 + CO2 à 2 H2O + CH4

La méthanation est donc une méthode de captation et de valorisation du CO2, qui répond aux objectifs de la COP21. L’utilisation de l’hydrogène au sein des VE contribuerait à limiter les émissions de GES liés aux transports. Enfin, la méthanation étant une réaction fortement exothermique, on peut envisager de récupérer la chaleur pour d’autres usages.

 

 

 

Enjeux politiques et économiques du Powertogas

La production puis la méthanation de l’hydrogène à partir du surplus de production d’électricité permettrait de s’affranchir de l’importation de gaz naturel. En effet, une grande partie du gaz naturel utilisé dans l’Union européenne provient de Norvège (hors Union européenne), de Russie et d’Algérie.

Chacun de ces fournisseurs vend à la France en une année un volume de gaz défini. La diversification des moyens de production du gaz qu’apporte le Power to gas permettrait de garantir notre indépendance énergétique.

 

 

D’un point de vue économique, le coût de l’électrolyse devrait nettement diminuer à mesure que la technique se démocratise. Si l’électrolyseur fonctionne pour une durée importante, le coût de l’hydrogène obtenu correspond au prix de l’électricité. Sachant que c’est le surplus d’électricité qui est utilisé, le coût de l’hydrogène pourrait être inférieur au coût habituel de l’électricité.

Le coût de l’électrolyse PEM est plus élevé que celui de l’électrolyse alcaline en raison du coût des électrodes en métaux précieux.

Quant à la méthanation à partir de l’hydrogène obtenu par électrolyse, elle pourrait être rentable à condition qu’une taxe soit appliquée sur les émissions de CO2 et que la méthanation soit financée par cette taxe.

En cas d’échange de l’hydrogène destiné à une PAC au sein d’une zone, entre particuliers, par exemple entre les réservoirs de VE, il faut fixer le prix auquel serait racheté l’hydrogène des particuliers. Une solution semble être d’indexer le prix de l’hydrogène sur celui de l’électricité.

D’ailleurs, les prix de l’électricité et du gaz sont interdépendants. En effet, une expérimentation menée conjointement par GRT Gaz et RTE à l’aide du logiciel de modélisation Antares met en évidence l’interdépendance des deux systèmes.

Si l’on rejoue le scénario d’un hiver très froid sur Antares en diminuant la disponibilité de l’électricité d’origine nucléaire, le prix de l’électricité augmente, mais aussi celui du gaz. Cette réactivité est encore plus forte si l’on simule l’indisponibilité du gaz algérien.

 

 

A l’instar des réseaux électriques, les réseaux de gaz européens sont interconnectés. Aussi, pour des raisons de sécurité, l’injection de l’hydrogène issu du surplus de production d’électricité dans le réseau de gaz naturel devra être régie par des lois fixant des seuils limites pour chaque pays (fig.10).

En France, la capacité de stockage disponible est de 14 milliards de m3. Si la règlementation européenne fixe le seuil limite d’injection à 6%, cela représentera un volume de 840 millions de m3. L’injection de l’hydrogène dans le réseau de gaz préexistant n’engendrera pas de coûts supplémentaires.

 

Conclusion

L’hydrogène constitue donc une passerelle entre les réseaux électriques et gaziers. Le rapport de l’ADEME sur le mix électrique de 2050 souligne que le Power to gas « offre des réponses pour gérer la variabilité de la production EnR ou son stockage ».

Cette technologie permet donc de répondre aux attentes de l’Union européenne et de la COP21 en matière de réduction des émissions de CO2 et d’augmentation de la part des EnR dans le mix énergétique.

La technologie d’électrolyse PEM permettrait de démocratiser le Power to gas à petite et moyenne échelle. Les bénéfices écologiques et économiques pourraient être conséquents. Selon le scénario négaWatt 2017-2050, le Power to gas est « l’une des clés de voûte du système énergétique de 2050 ».

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