M. Jean JOUZEL, Climatologue et glaciologue, Prix Nobel, Directeur de recherche au CEA
LES CONCLUSIONS DU DERNIER RAPPORT DU GIEC SONT CLAIRES

Le réchauffement climatique observé depuis le milieu du 20ème siècle est sans équivoque, sans précédent depuis des décennies, voire des millénaires, et il est extrêmement probable que l’influence de l’homme en est la cause principale. De nouvelles émissions de gaz à effet de serre impliqueront une poursuite du réchauffement et des changements affectant toutes les composantes du système climatique avec des impacts importants dès la seconde partie de ce siècle. Au-delà de ces conclusions à caractère global qu’en est-il pour la France ?
La série de rapports sur « le climat France au 21ème siècle » éclaire cette question. Ces documents répondent à une demande du Ministère de l’Écologie, du Développement Durable et de l’Énergie, d’établir une « synthèse approfondie sur les scénarios de référence à considérer pour la mise en œuvre du plan national d’adaptation français au changement climatique », dans le cadre d’une mission de coordination qui m’a été confiée par Chantal Jouanno en juillet 2010. Chaque année, ce rapport, réalisé en collaboration avec l’ONERC (Observatoire National des Effets du Réchauffement Climatique) aborde des aspects différents. Celui publié en 2014 permet de décliner les nouveaux scénarios du GIEC régionalisés pour la métropole et les régions d’outre-mer, grâce à un couplage avec des modèles climatiques régionaux réalisé par le CNRM (Centre National de Recherches Météorologiques de Météo-France) et l’IPSL (Institut Pierre Simon Laplace) en collaboration avec l’INERIS (Institut National de l’Environnement Industriel et des Risques). Le rapport 2015, auquel ont contribué des chercheurs de différents horizons, porte sur changement climatique et niveau de la mer.
LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE AFFECTE L’ENSEMBLE DE LA PLANÈTE
L’année 2014 a été la plus chaude que notre pays ait connue depuis le début du 20ème siècle, et sur cette période le réchauffement, voisin de 1,3°C, y a été plus élevé qu’en moyenne globale (0,85°C). Cette amplification, observée sur la plupart des continents qui se réchauffent plus vite que les océans, vaut également pour l’évolution future de notre climat. Les simulations dont nous présentons ci-dessous les principaux résultats pour la France, ont été réalisées pour 3 des scénarios du GIEC, le scénario émetteur (RCP8.5), le scénario sobre (RCP2.6) et un des scénarios intermédiaires (RCP4.5). La régionalisation des simulations globales de départ a été réalisée de façon de passer de la résolution la plus basse utilisée par les modèles globaux, de l’ordre de 200 km, à une résolution de 12 km. En dehors de la France métropolitaine, le CNRM a suivi la même approche pour la Polynésie, la Réunion, la Nouvelle-Calédonie et les Antilles. Les principales variables climatiques disponibles portent sur les températures et précipitations moyennes, les indices de vagues de froid, de chaleur, de sécheresse et de précipitations extrêmes. Le rapport s’est attaché à représenter le plus correctement possible les incertitudes en analysant un ensemble plus large de simulations. Par souci de lisibilité, nous ne citerons pas systématiquement ces estimations de l’incertitude mais nous invitons le lecteur à se référer au rapport complet disponible sur le site de l’ONERC, l’ensemble des résultats étant accessible sur le portail DRIAS (www.driasclimat.fr). Les simulations couvrent la période 1950-2100, et, tout comme à l’échelle globale, les changements les plus marqués par rapport au climat actuel (période de référence 1976-2005) sont simulés pour la fin de cette période (2071-2100).

A un horizon plus proche, d’ici une vingtaine d’années (période 2021-2050), l’évolution du climat dépend peu des scénarios d’émission des gaz à effet de serre. Cela vaut aussi bien à l’échelle planétaire que pour notre pays. Notre climat sera caractérisé par une hausse des températures moyennes comprise entre 0,6 et 1,3°C toutes saisons confondues. Cette hausse devrait être plus importante dans le Sud-Est de la France en été, pouvant y atteindre 1,5 à 2°C. Elle sera accompagnée par une augmentation du nombre de jours de vagues de chaleur en été, et par une légère hausse des précipitations moyennes, en été comme en hiver, avec une forte incertitude sur la répartition géographique de ce changement. Dans le cas du scénario sobre le climat évoluerait peu entre le milieu et la fin du siècle aussi bien pour les températures moyennes dont la hausse resterait limitée à 0,9°C en hiver et à 1,3°C en été, que pour les autres paramètres, quantité et intensité des précipitations, sécheresses, vagues de chaleur.
Des réchauffements beaucoup plus importants seraient observés dans le cas du scénario émetteur avec à la fin du siècle une forte hausse des températures moyennes comprise entre 3,4 et 3,6 °C en hiver et entre 2,6 et 5,3 °C en été. Elle devrait être particulièrement marquée en allant vers le Sud-Est du pays et pourrait largement dépasser les 5°C en été ; tous les modèles s’accordent sur une répartition croissante de cette augmentation selon un axe Nord-Ouest/Sud- est. Cette hausse serait associée à une forte augmentation du nombre de jours de vagues de chaleur qui pourrait dépasser les 20 jours. L’été 2003, environ 3°C plus chaud qu’un été moyen du 20ème siècle, deviendrait la norme dans la seconde partie de ce siècle avec, pour certaines des simulations, des étés caniculaires qui vers la fin du siècle pourraient être 7 à 8 °C plus chauds qu’un été de référence. Dans les régions d’outre-mer, le réchauffement, compris entre 3 et 3,5°C, serait bien marqué mais un peu moins qu’en métropole ; pour celles qui sont ou risquent d’être affectées par des cyclones tropicaux, une diminution ou une stabilisation de leur fréquence est envisagée mais les précipitations moyennes et la vitesse moyenne du vent maximal qui y seront associées augmenteraient probablement.
Enfin, il est important de noter que, dans le cas du scénario émetteur, le réchauffement se poursuit au-delà de 2100, jusqu’à 8 °C voire plus en 2300. Pour ce qui est des précipitations elles auront tendance à augmenter l’hiver et à diminuer l’été. Le taux de précipitations extrêmes serait renforcé sur une large partie du territoire mais avec une forte variabilité des zones concernées selon les modèles. Les épisodes de sécheresse augmenteraient dans une large partie Sud du pays, cette caractéristique pouvant s’étendre à l’ensemble du pays pour l’un des deux modèles. Sur l’ensemble des régions d’outre-mer, les résultats mettent en évidence une diminution des précipitations moyennes, en particulier pour la saison sèche.
L’élévation du niveau de la mer, voisine actuellement de 3 mm/an, s’accélérera en fonction du rythme d’émission des gaz à effet de serre. Les projections prennent en compte l’augmentation attendue du niveau de la mer en réponse au réchauffement des océans, à la fonte des glaciers et celle des calottes polaires : entre les périodes 1986-2005 et 2081-2100 l’élévation probable du niveau moyen mondial de la mer serait comprise entre 26 et 55 cm pour le scénario sobre et entre 45 et 82 cm pour le scénario émetteur. Il faut cependant noter que la contribution des calottes du Groenland et de l’Antarctique reste très incertaine. Une augmentation plus importante que ces fourchettes « probables » ne peut pas être exclue mais les estimations les plus fortes restent très controversées. Au-delà du XXIe siècle, l’effet de dilatation thermique de l’océan sur la hausse du niveau de la mer se poursuivra ainsi que l’augmentation liée à la fonte des calottes polaires avec, à l’échelle millénaire, un risque de disparition du Groenland ce qui correspondrait à 7 m d’élévation du niveau de la mer.
Le rapport fait un point sur les principaux impacts physiques de la montée du niveau marin (submersion marine, érosion côtière, intrusions salines dans les aquifères côtiers et des impacts sur les infrastructures côtières et portuaires). Pour l’avenir, la remontée du niveau marin sera vraisemblablement la cause principale d’aggravation de l’aléa de submersion. En France métropolitaine, les régions du Languedoc, du delta du Rhône et de l’Aquitaine sont particulièrement concernées mais le reste de la côte atlantique et la plaine de Corse orientale le sont également.

Les impacts futurs de l’élévation du niveau marin sur le recul du trait de côte sont potentiellement très importants et l’augmentation du niveau marin pourrait engendrer une accentuation de l’extension des intrusions salines dans les aquifères côtiers. Les impacts sur les infrastructures côtières et portuaires seraient important ; ainsi pour conserver les mêmes volumes de franchissement en cas de hausse d’un mètre du niveau marin, les ouvrages perméables implantés en faible profondeur doivent être rehaussés de 2 mètres environ, et les ouvrages imperméables de 3 mètres environ.
Mieux qu’un long discours, la comparaison pour notre pays des scénarios émetteur d’une part, sobre, de l’autre, illustrent l’absolue nécessité de nous orienter à l’échelle planétaire vers un scénario peu émetteur en carbone, et donc vers un mode de développement différent de celui des dernières décennies. Cela est d’autant plus vrai que le scénario émetteur se traduirait par d’autres conséquences que celles évoquées ici, quasi disparation de nos glaciers hormis ceux de très haute altitude, diminution de l’enneigement, modifications des écosystèmes naturels, perte de biodiversité, diminution des rendements agricoles, conséquences sur la viticulture, acidification de l’océan avec des impacts sur la productivité océanique et sur les récifs coralliens, influence sur les populations, leur santé et les flux migratoires liés aux réfugiés climatiques, ….. Il est essentiel pour la Planète que la conférence de Paris se traduise par un accord ambitieux qui préserve la possibilité de limiter du réchauffement climatique à long terme à 2°C par rapport au climat préindustriel. Cela vaut aussi pour notre pays même si la France n’est pas au rang des régions les plus vulnérables face à ce réchauffement.
Cet article s’appuie largement sur les rapports 2014 et 2015 « Le climat sur la France au 21ème siècle, dont je remercie l’ensemble des auteurs.
NOTA:
Directeur de Recherche au CEA, Jean Jouzel a été vice-président du groupe scientifique du GIEC de 2001 à 2015. Il est co-auteur de deux ouvrages parus chez Dunod en 2015, le défi climatique : objectif 2°C avec Anne Debroise et Quel climat pour demain avec Olivier Nouallias.