Parce que la culture est le plus sûr moyen de rapprocher les peuples, de favoriser la diversité, le lien social et la parité, l’UNESCO met en œuvre un grand nombre d’actions pour soutenir et valoriser le patrimoine culturel. En particulier dans les pays où il est le plus vulnérable.
Quels enjeux essentiels assigner à la défense et à la valorisation du patrimoine culturel ?
C’est un enjeu à la fois social, économique et moral. Le patrimoine culturel porte l’histoire et les identités des peuples : il est une partie intégrante du droit fondamental de chacun à pratiquer sa culture, de s’ancrer dans le temps long de l’histoire et des générations qui donnent du sens et des repères à notre vie quotidienne. Au-delà de vieilles pierres et des monuments, le patrimoine est un vecteur de repères collectifs, de cohésion sociale, de confiance et d’estime de soi, autant d’éléments qui participent au vivre ensemble et fortifient le sentiment d’appartenance à une collectivité. Ces valeurs contribuent à la vie en société, à l’inclusion sociale et à la résilience des peuples en cas de conflits ou de crise. Le patrimoine, le secteur culturel et les industries créatives en général représentent également des gisements d’emplois, souvent locaux et ancrés dans des terroirs. Ce sont des leviers d’innovation, des moteurs et facilitateurs de développement durable. À l’heure où tous les pays cherchent de nouveaux leviers de croissance durable, le patrimoine offre des réponses.
Ce patrimoine est tout particulièrement vulnérable en situation de conflit, et nous le voyons tragiquement aujourd’hui en Iraq et en Syrie, en Libye et au Yémen, où il est pris pour cible. Bien plus qu’une tragédie culturelle, l’anéantissement du patrimoine est un enjeu de sécurité majeur, car les belligérants utilisent la destruction de la culture comme une arme de guerre, pour démoraliser et asservir les populations. Ces actes délibérés sont des crimes de guerre, dans une stratégie de nettoyage culturel, relayée par les médias et les réseaux de propagande, visant à détruire les vies humaines et toute trace de diversité culturelle, toute l’histoire d’un peuple.
Comment définir, dans ce domaine, le cadre de l’action de l’UNESCO, et comment sont arrêtées ses priorités, selon les pays ?
L’UNESCO est une agence intergouvernementale, au service de nos États membres, et ce sont ces derniers qui définissent le cadre et les priorités de notre action. Notre rôle a été établi après la Seconde Guerre mondiale sur une idée assez simple : fortifier la coopération éducative, culturelle, scientifique entre les États dans le but de renforcer la compréhension mutuelle, la solidarité intellectuelle des nations, et faire reculer le spectre de la guerre. Dans le domaine de la culture, le travail de l’UNESCO consiste à accompagner les États dans l’élaboration de textes de loi, dans la formation des experts, des conservateurs, des collectivités locales, des scientifiques, dans le partage des bonnes pratiques entre les États. Depuis soixante-dix ans, l’UNESCO a permis l’adoption de traités juridiques internationaux, dont la Convention sur le Patrimoine mondial est la plus connue, et définit les règles à respecter pour protéger les sites dont la valeur exceptionnelle concerne toute l’humanité. L’UNESCO existe pour favoriser la coopération entre les États, et mener sur le terrain des actions de sauvegarde et de mise en valeur de la culture.
La culture est-elle aussi le bon moyen de lutter pour l’égalité des sexes ? Quel est le rôle du Fonds international pour la diversité culturelle (FIDC) dans ce cadre ?
La culture permet de lutter pour l’égalité des genres. Le soutien aux activités culturelles est un moyen de soutenir les femmes qui travaillent dans ces domaines, de stimuler leurs capacités créatives et de favoriser leur reconnaissance sociale et leur participation au pouvoir politique et citoyen. Les activités culturelles créatives ou artisanales exercées par des femmes peuvent aussi soutenir leur autonomie en offrant des opportunités d’emploi et de création d’entreprises. Depuis 2010, le FIDC a financé plus de 78 projets dans 48 pays, couvrant un large éventail d’activités, du développement des politiques culturelles au renforcement des capacités des entrepreneurs culturels, à la cartographie des industries culturelles. Plus que la moitié de ces projets intègrent la dimension de l’égalité des genres. Ils visent améliorer l’accès des femmes aux emplois dans le domaine de la culture et les aider à générer des revenus, à avancer leur carrière et à servir de modèle. L’UNESCO a justement publié un rapport complet l’an dernier sur ce sujet intitulé « Égalité des genres, patrimoine et créativité ».

À Chendgu a eu lieu la VIIIe réunion annuelle des villes créatives. Quels avantages constituent la mise en réseau d’actions culturel- les ? L’UNESCO joue-t-il un rôle actif dans ce domaine ?
La clé de la créativité, c’est le rapprochement, la mise en contact. Le Réseau des villes créatives est une incarnation de cette vision. En 2014 j’ai désigné 28 nouvelles villes créatives portant ainsi à 69 le nombre de villes de ce réseau dans 32 pays. Les villes sont des foyers de créativité, de dynamisme culturel, de brassage et de métissage. L’UNESCO a décidé de s’appuyer sur elles comme des leviers de premier plan de la coopération culturelle internationale. Le travail en réseau permet le partage de bonnes pratiques et le développement des partenariats novateurs et stimule les échanges entre secteurs publics et privés ainsi qu’avec la société civile des différents pays. C’est un atout essentiel pour la mobilité des créateurs et l’accès des artistes à de nouveaux publics et à des marchés mondiaux. L’UNESCO encourage les villes membres à faire avancer la réflexion sur le rôle de la créativité dans les stratégies de développement urbain, car c’est un formidable levier de développement durable, et nous voulons d’ailleurs inscrire ce potentiel de la culture dans le nouveau programme mondial des Nations Unies pour le développement durable.
Quel est le rôle des conventions culturelles ? S’agit-il aussi d’une modalité clé de l’action de l’UNESCO en matière culturelle ?
Les conventions culturelles jouent un rôle fondamental puisqu’elles donnent, dans leurs domaines respectifs, un cadre légal et contraignant aux États qui les ont ratifiées. L’UNESCO possède un ensemble de conventions internationales pour la protection et la valorisation de la culture sous toutes ses formes : patrimoine naturel, culturel, immatériel, sub-aquatique, besoins de protection en temps de paix ou de conflit, lutte contre le trafic d’objets culturels, soutien aux industries culturelles, etc. Les États ont, à cet égard, des obligations qu’ils doivent respecter. Ces conventions facilitent la coopération internationale en mettant à disposition des États des mécanismes de soutien y compris financiers, et favorisent également l’échange d’expériences et de bonnes pratiques.
Pouvons-nous évoquer ici quelques projets emblématiques, suivis par l’UNESCO ?
Il y en a beaucoup. L’exemple le plus célèbre en France est sans doute la campagne internationale de sauvegarde de 1959 pour les temples d’Abou Simbel en Égypte, qui avait été lancée à l’époque avec l’appui de Malraux et de Christiane Desroches-Noblecourt. À peine une décennie après la guerre, une cinquantaine de pays travaillaient ensemble à la sauvegarde d’un patrimoine universel. La Convention du Patrimoine mondial est née de cet élan. La réinstallation de l’obélisque d’Axoum en Éthiopie, de 2005 à 2008, est un autre exemple représentatif d’une opération longue et complexe menée avec succès. La stèle de 23,4 mètres de haut pesant 152 tonnes a été démantelée en Italie, puis transportée et réinstallée en Éthiopie. Ce projet est une démonstration convaincante du pouvoir de la coopération culturelle dans les stratégies de développement et de rapprochement des peuples.
L’UNESCO a un lien particulier avec le parc archéologique d’Angkor au Cambodge, l’un des sites culturels les plus importants d’Asie du Sud-Est, qui contient les magnifiques vestiges des différentes capitales de l’Empire khmer. Les bouleversements politiques et militaires, les fouilles illégales, les pillages et les champs de mines ont participé à la destruction du site. L’UNESCO a mené de grandes campagnes de sauvegarde et mène encore plusieurs projets de protection sur ce site unique.
L’UNESCO mène aussi la réhabilitation du patrimoine de Tombouctou, au Mali, en particulier les mausolées inscrits au patrimoine mondial, dont 14 ont été rasés et que nous sommes en train de reconstruire. Je me suis rendue au Mali en février 2013 avec le Président français François Hollande pour lancer l’évaluation de l’état du patrimoine culturel et des manuscrits anciens du Mali. L’Urgence absolue porte aujourd’hui sur la protection du patrimoine en Iraq et en Syrie, et l’UNESCO y consacre tous les moyens disponibles.