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M. Tudor CONSTANTINESCU

Conseiller principal du directeur général de l’énergie à la Commission européenne.

Énergie hydrogène: fractionner les molécules pour intégrer les secteurs

Le premier continent au monde à atteindre la neutralité climatique. C’est ce que la nouvelle Commission Von der Leyen envisage pour l’Europe d’ici 2050. Décarboner l’économie, en particulier la production et la consommation d’énergie, est d’une importance cruciale pour cette priorité centrale. Cela a également été souligné par la Directrice Générale de la DG Energie, Mme. Ditte Juul Jørgensen, dans son récent article pour cette revue . L’hydrogène, l’atome le plus léger sur terre, est de plus en plus reconnu comme ayant un rôle clé dans cette lourde tâche. À quels défis de la décarbonation l’hydrogène pourrait-il répondre? Quels avantages cela pourrait-il apporter? De quoi cela dépend-il? Et que se passe-t-il au niveau européen et international ?

Dans une très large mesure, décarboner la production d’énergie signifie remplacer les combustibles fossiles par des sources renouvelables. Actuellement, la part la plus élevée de l’intégration des énergies renouvelables est dans la production d’électricité. De ce fait, il n’est guère surprenant que la Stratégie climatique à long terme pour l’UE voit l’électricité en tant que principal vecteur énergétique d’ici 2050. Cependant, l’utilisation d’électricité renouvelable pour remplacer la demande de combustibles fossiles est souvent loin d’être facile. Premièrement, la nature intermittente des sources d’énergie renouvelables implique que leur disponibilité ne correspond pas nécessairement á la demande. L’augmentation des parts d’énergies renouvelables amplifie ainsi le besoin de flexibilité et de solutions de stockage. Deuxièmement, plusieurs secteurs à forte demande tels que le transport lourd et l’industrie à forte intensité de carbone se sont révélés difficiles à électrifier.

L’hydrogène, si produit par électrolyse de l’eau à partir d’énergies renouvelables, peut offrir une flexibilité en tant que moyen de stockage tout ayant le rôle de vecteur énergétique ou matière première pour les secteurs rencontrant des difficiles á réduire la consommation d’énergie. Ses avantages en tant que solution de stockage sont le plus visibles dans les applications à grande échelle et à long terme, avec le potentiel de devenir l’option la plus économique avec des durées de décharge supérieures de 20 à 45 heures, en fonction du coût de l’électricité stockée (AIE, 2019). En tant que combustible (pour utilisation finale), l’hydrogène est particulièrement prometteur dans les secteurs pour lesquels il est difficile d’utiliser des batteries alimentées à l’électricité en raison de leur poids et de leur taille, comme le transport lourd par exemple. En même temps, l’hydrogène bas carbone peut contribuer à rendre les réseaux de gaz plus verts. En tant que matière première, l’hydrogène peut décarboner les processus industriels qui dépendent actuellement des matières premières fossiles, telles que la sidérurgie, les raffineries et l’industrie des engrais. En tant que tel, l’hydrogène a le potentiel de connecter l’électricité au gaz, ainsi qu’aux secteurs des transports, de l’industrie et du chauffage, permettant ainsi l’intégration des secteurs. Dans une phase de transition, l’hydrogène produit à partir du reformage du méthane associé au captage et stockage du carbone (CSC) pourrait contribuer aux objectifs de décarbonation et faciliter la mise à l’échelle des technologies et des infrastructures.

L’hydrogène est relativement unique dans sa multifonctionnalité en tant que solution de stockage et de flexibilité, vecteur d’énergie, carburant et matière première. Cela implique que, contrairement à la plupart des autres composants du système énergétique, le cadre réglementaire pourrait concerner n’importe quel de ces sujets, selon son application. La dernière réalisation majeure de l’UE en matière de politique énergétique, le paquet «une énergie propre pour tous les Européens», comprend plusieurs dispositions concernant l’hydrogène. Dans la directive sur l’électricité, la définition du stockage s’étend au-delà de l’énergie électrique, de l’énergie au gaz et de l’énergie à la chaleur, incluant ainsi d’autres vecteurs d’énergie comme moyen de stockage de l’électricité. En outre, les carburants renouvelables d’origine non biologique (RFNBO) sont explicitement reconnus dans la directive sur les énergies renouvelables. L’actuelle Commission a récemment présenté « Le pacte vert pour l’Europe », la feuille de route ayant pour objectif à réduire les émissions tout en créant des emplois. La décarbonation économique et le leadership européen dans le cadre des technologies vertes seront essentiels dans ce contexte. Dans le cadre du Pacte vert européen, la Commission européenne, sous la direction de la commissaire Kadri Simson, analyse actuellement les moyens de faciliter l’intégration intelligente des secteurs, et l’hydrogène est considéré comme un catalyseur clé de ce processus.
Au niveau de l’Union européenne, l’évolution et les expériences nationales, y compris la mesure dans laquelle l’hydrogène a été pris en compte dans les récents Plans nationaux intégrés Énergie-Climat (PNEC), sont échangés dans un réseau informel d’experts en politiques nationales appelé Hydrogen Energy Network (HyENet). Ce groupe d’experts a été mis en place par la Commission (DG ENER) afin de progressivement reconnaitre l’hydrogène comme vecteur énergétique dans les politiques et plans des autorités de l’énergie, et leur permettre d’échanger des informations, de partager les bonnes pratiques et de collaborer sur des questions spécifiques. Le groupe fait suite au large soutien que les États membres ont apporté à l’initiative sur l’hydrogène sous la présidence autrichienne, qui a promu le rôle de l’hydrogène renouvelable dans la décarbonation de différents secteurs de l’économie. Cette initiative a également été suivie d’une déclaration, à Bucarest, soulignant l’importance du rôle potentiel de l’hydrogène dans la décarbonation des infrastructures gazières.

Pour que les chaînes de valeur soient réussies, l’hydrogène doit non seulement être propre et efficace, mais aussi compétitif. Ces objectifs ambitieux, ainsi que la reconnaissance de l’importance de la démonstration, sont bien intégrés dans le programme de travail de l’entreprise commune – Fuel Cells and Hydrogen Joint Undertaking (FCH-JU), partenariat public-privé, géré conjointement par la Commission européenne et les acteurs, notamment industriels, du secteur des piles à combustible et de l’hydrogène (Hydrogen Europe et Hydrogen Europe Research). Cette initiative illustre également un des exemples de synergies et coopération réussie entre les différents services de la Commission, notamment énergie, transports et la recherche. La recherche et l’innovation sont essentielles pour mettre sur le marché de nouvelles technologies et créer un avantage concurrentiel et industriel pour l’UE dans ce domaine. La FCH-JU finance la recherche et l’innovation pour l’hydrogène avec une contribution budgétaire de l’UE de 646 millions d’euros pour la période 2014-2020. La Commission propose de poursuivre ce partenariat au-delà de 2020, dans le cadre d’Horizon Europe. Parallèlement à la recherche de base, le FCH-JU soutient le développement de technologies avec des niveaux de maturité technologique plus élevés, comme par exemple les démonstrations régionales à grande échelle appelées « Hydrogen Valleys ». La Commission encourage en outre les projets de démonstration à l’échelle de l’UE dans le cadre des projets importants d’intérêt européen commun (PIEEC) stimulant ainsi l’industrie européenne (par exemple des électrolyseurs PEM) dans le but de renforcer encore sa position de tête dans ce domaine.
Pour que l’hydrogène joue un rôle dans la décarbonation de l’économie, des définitions conciliées de l’hydrogène « propre », « renouvelable » et « faible teneur en carbone » sont indispensables. Une initiative prometteuse dans ce contexte est le projet financé par FCH-JU appelé «CertifHy», lequel grâce á son travail d’analyse pourrait contribuer au développement d’un système d’émission et d’échange de garanties d’origine, cartographiant l’impact sur les émissions de gaz à effet de serre de différentes voies de production. L’accord sur les définitions est également considéré comme une priorité dans le contexte des initiatives de coopération internationale, telles que la Conférence ministérielle sur l’énergie propre (CEM) et le Partenariat international pour l’hydrogène et les piles à combustible dans l’économie (IPHE), auquel la CE participe activement.
En conclusion, nous nous attendons à un rôle croissant de l’hydrogène dans plusieurs secteurs du système énergétique d’ici 2050. Il va de soi que l’hydrogène fera partie intégrante de l’initiative sur l’intégration sectorielle. D’un point de vue politique, ces efforts viseront principalement à clarifier les rôles possibles de l’hydrogène dans le système énergétique et leurs mérites respectifs, ainsi qu’à identifier les bons instruments qui permettront de développer des modèles commerciaux durables. Afin de réussir la transition énergétique, nous devons utiliser toutes les options disponibles et nous ne pouvons nous permettre de privilégier ou d’exclure aucune technologie pour le moment. L’objectif de la Commission est de rassembler les éléments qui permettront à l’hydrogène, ainsi qu’à d’autres solutions, de contribuer à la décarbonation économique de notre continent, tout en renforçant le leadership mondial de l’UE dans les technologies qui nous y conduisent.

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