
Alors que l’Europe s’engage à réduire fortement ses émissions de gaz à effet de serre, l’énergie est aussi à la croisée de deux autres enjeux que sont, d’une part, la sécurité d’approvisionnement et, d’autre part, le développement de nos économies et de nos emplois.
Comment analyser les compétences communautaires en matière d’énergie ? En quoi l’Europe est-elle dans ce domaine un niveau de décision important pour les Etats membres ?
Dominique Ristori : Les compétences communautaires en matière d’énergie ont connu des évolutions importantes depuis ses débuts, lorsque les six Etats membres fondateurs ont décidé, en 1951, d’unir leurs capacités industrielles en créant la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier. En 1957, ils ont renouvelé l’expérience dans le secteur de l’énergie atomique. A la fin des années 90, l’Europe a lancé la création d’un marché de l’électricité et du gaz. Pourtant, il a fallu attendre 2007 et le Traité de Lisbonne pour que l’Union européenne se dote d’objectifs communs dans le secteur de l’énergie et pose les bases de ce qu’on appelle une politique commune, à savoir une politique où les Etats membres consentent à adopter ensemble des règles communes et à se soumettre au contrôle d’un organe supranational pour leur mise en œuvre.
Aujourd’hui, les objectifs de la politique européenne de l’énergie sont clairs : nous devons garantir notre sécurité d’approvisionnement, contribuer à la durabilité et la compétitivité de notre économie, assurer des prix abordables pour tous et, enfin, répondre aux impératifs climatiques.
Nous devons ensemble relever ces défis auxquels nous sommes confrontés. Ils sont vastes et complexes et les évènements géopolitiques actuels entre la Russie et l’Ukraine nous le rappellent fortement.
En effet, l’Union européenne est le premier importateur d’énergie au monde. Elle importe 53% de l’énergie qu’elle consomme, pour un coût de plus d’un milliard d’euros par jour ! En 2013, les importations de gaz russe représentaient 27% de la consommation européenne en gaz. L’Europe doit donc tout mettre en œuvre pour réduire rapidement cette dépendance et les risques qui s’y attachent, pour garantir la vie quotidienne de chaque citoyen. Comme conséquence de la crise entre la Russie et l’Ukraine, le Conseil européen de mars 2014 a insisté sur la nécessité d’augmenter la sécurité d’approvisionnement en énergie et a demandé à la Commission de développer un plan global de réduction de la dépendance énergétique de l’Union européenne. Ainsi, la Commission européenne a présenté le 28 mai 2014 une Stratégie Européenne de Sécurité Energétique qui a été approuvée par les chefs d’Etat et de Gouvernement lors du Conseil européen des 26 et 27 juin 2014. Elle est principalement axée sur le développement des ressources indigènes, la diversification des sources d’approvisionnement extérieures en énergie, la modernisation de l’infrastructure énergétique, l’achèvement du marché intérieur de l’énergie de l’UE et, bien sûr, les économies d’énergie. La Stratégie met aussi en lumière la nécessité de coordonner les décisions prises dans le cadre des politiques nationales et l’importance de parler d’une seule voix lors des négociations avec les partenaires extérieurs.

Cette année, en février, la Commission européenne a présenté la Stratégie qu’elle entend mettre en œuvre pour bâtir une Union de l’Energie résiliente, assortie d’une politique ambitieuse en matière de changement climatique. C’est une des priorités politiques clés de la Commission Juncker, mais aussi du Conseil européen et du Parlement européen. L’Union de l’Energie représente le projet européen le plus ambitieux dans le domaine énergétique depuis 1951.
Elle repose sur la Stratégie Européenne de Sécurité Energétique, ainsi que sur le cadre Energie-Climat 2030. L’Union de l’Energie permettra aux citoyens et aux entreprises de disposer d’une énergie sûre, respectueuse du climat, mais aussi compétitive et abordable.
La Stratégie repose sur 5 dimensions, 15 actions clés et comprend une feuille de route avec 43 initiatives.
Les cinq dimensions sont interdépendantes ; elles se renforcent mutuellement et sont conçues pour renforcer la sécurité énergétique, ainsi que la durabilité et la compétitivité du secteur de l’énergie :
- la sécurité énergétique, la solidarité et la confiance,
- la pleine intégration du marché européen de l’énergie,
- l’efficacité énergétique comme moyen de modérer la demande,
- la dé-carbonisation de l’économie,
- la recherche, l’innovation et la compétitivité.
Ces dimensions représentent autant de domaines dans lesquels une intégration et une coordination plus poussées sont nécessaires. Pour chaque dimension, la feuille de route qui accompagne la Stratégie présente des mesures spécifiques qui seront élaborées et mises en œuvre pour la plupart dans les deux prochaines années.
La réunion du Conseil européen des 23 et 24 octobre 2014 à Bruxelles s’était conclue par un accord sur le paquet énergie-climat pour 2030 avec un objectif contraignant d’au moins 40% de réduction d’émissions de gaz à effet de serre par Etat membre, de 27% d’énergies renouvelables contraignant à l’échelle de l’UE et de 27% d’efficacité énergétique. Ces objectifs devraient préfigurer un accord plus général lors de la Conférence Paris Climat 2015 (COP 21). Pouvons-nous les commenter ? A cet égard, comment se situe la France ?
D. R. : Dans le domaine de l’énergie, l’encadrement politique et réglementaire est très important, car il permet d’assurer la prédictibilité et la stabilité que demandent tous les opérateurs, mais aussi les consommateurs. Il protège aussi vis-à-vis des pays tiers.
Il était donc essentiel de conclure ce Conseil européen d’octobre par un succès, d’autant plus que se prépare le rendez-vous de Paris sur le climat, en décembre. Il était donc primordial de ne laisser aucune incertitude sur les objectifs européens en matière d’énergie et de climat, rappelant que 80% des émissions proviennent de la production et de la consommation d’énergie. Ceci a été rendu possible grâce à l’accord trouvé le 24 octobre auquel ont adhéré tous les chefs d’Etat et de Gouvernement.
Le Conseil s’est ainsi entendu sur :
- un objectif contraignant de réduction des émissions de CO2 de 40% d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990, avec en appui une réforme du système des quotas d’émission (l’EU-ETS) qui sera doté d’un instrument visant à stabiliser le marché, conformément à la proposition de la Commission, et qui devrait permettre de retrouver un niveau de prix du CO2 permettant à l’EU-ETS de jouer un rôle efficace dans la politique de dé-carbonisation ;
- un objectif d’au moins 27% en ce qui concerne la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique finale de l’Union européenne à l’horizon 2030. Cet objectif est contraignant au niveau européen. Il sera réalisé grâce aux contributions des Etats membres, guidés par la nécessité d’atteindre collectivement l’objectif de l’UE, tout en préservant la flexibilité nécessaire à leur niveau. Il fallait, dans ce domaine, tirer les leçons du passé et adapter les paramètres, afin d’atteindre l’objectif européen. A travers des plans nationaux, les Etats membres se sont engagés à réaliser des efforts importants et je suis convaincu que nous irons au-delà de l’objectif européen de 27% ;
- un objectif indicatif d’au moins 27% au niveau de l’UE en termes d’amélioration de l’efficacité énergétique à l’horizon 2030 par rapport aux scénarios de consommation future d’énergie, sur la base des critères actuels. Cet objectif ne sera pas traduit en objectifs contraignants sur le plan national. Chaque Etat membre sera libre de fixer des objectifs nationaux plus élevés. L’objectif pourra être reconsidéré d’ici 2020 dans l’optique d’un objectif de 30% pour 2030. La France avait présenté, le 18 juin 2014, son projet de loi de transition énergétique avant-gardiste, qui contient un certain nombre d’objectifs ambitieux (40% de réduction des gaz à effet de serre d’ici 2030, une diminution de 30% de la consommation d’énergies fossiles en 2030 et la division par deux de la consommation finale d’énergie d’ici 2050, l’augmentation de la part des énergies renouvelables à 32% de la consommation énergétique finale d’ici 2030 et qui prévoit de ramener la part du nucléaire à 50% de la production d’électricité en 2025, avec un plafonnement de la capacité nucléaire à son niveau actuel, soit 63,2 GW). Au-delà des objectifs chiffrés, le projet contient des mesures concrètes pour accroître l’efficacité énergétique et développer le transport électrique.

Vous avez indiqué qu’une des priorités de la nouvelle Commission européenne est de structurer une Union énergétique européenne forte et stable, afin de répondre à deux grands défis : assurer la sécurité énergétique de l’Europe et répondre au changement climatique. Sont-ils compatibles ?
D. R. : Dans ce contexte, la question du coût de l’énergie pour l’Europe est aussi cruciale pour la compétitivité et la croissance de l’Europe. En 2012, la facture des importations de gaz et de pétrole de l’UE était de plus de 400 milliards d’euros, soit environ 3,1% du PIB.
Près de 11% des foyers européens sont en situation de précarité énergétique et ont du mal à payer leurs factures d’énergie tous les mois ; or, l’impact du coût de l’énergie sur les petites et grandes entreprises joue directement sur la croissance.
Tout cela est également lié à la sécurité énergétique. Les enjeux en matière de sécurité énergétique sont aujourd’hui considérables : la crise entre la Russie et l’Ukraine met en péril la sécurité de l’approvisionnement et nous rend vulnérables, tout comme les troubles en Afrique du Nord et au Moyen-Orient qui remettent en cause la stabilité de ces régions qui abritent certains de nos plus importants fournisseurs de gaz et de pétrole.
L’Union de l’Energie devra également répondre à l’enjeu majeur de notre génération : lutter contre un changement climatique qui menace nos sociétés et nos économies.
Beaucoup de progrès ont déjà été accomplis, mais il faut redoubler d’efforts si l’on veut atteindre les objectifs contraignants à l’horizon 2020 et 2030 sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’amélioration de l’efficacité énergétique et la croissance des énergies renouvelables.
Diversifier les façons de produire l’énergie est devenu une nécessité absolue. Chaque pays doit diversifier ses ressources : choisir les moins coûteuses certes, mais aussi les moins polluantes.
L’énergie et la question de l’indépendance énergétique sont au centre des préoccupations européennes pour des raisons de souveraineté et de lutte contre le changement climatique, mais aussi parce que ce sont les piliers de la croissance, de la compétitivité et de la relance industrielle et technologique de l’Europe. Seul un marché pleinement intégré et interconnecté permettra d’y arriver. Mais aujourd’hui, nous avons une mosaïque désordonnée de 28 îlots énergétiques insuffisamment reliés entre eux. Tout comme les autoroutes aujourd’hui, les câbles électriques ne devraient pas s’arrêter aux frontières !
Des infrastructures modernisées permettront de réduire les factures d’énergie et de créer de nouveaux emplois. Nos entreprises pourront exporter davantage et stimuler la croissance.
Dans le cadre du paquet sur l’Union de l’Energie, nous avons défini les mesures nécessaires pour atteindre l’objectif de 10% d’interconnexion électrique d’ici à 2020. Nous avons récemment ouvert la voie à de nouveaux investissements et de meilleures interconnexions énergétiques entre la France, le Portugal et l’Espagne. C’est un grand pas pour mettre un terme à l’isolement de la péninsule ibérique par rapport au reste du marché intérieur de l’énergie !
Les énergies renouvelables sont-elles arrivées à maturité, au point de pouvoir être régies par une logique de marché ? Quel peut être, dans ce domaine, l’accompagnement de l’Union européenne ?

D. R. : Les énergies renouvelables ont connu un développement sans précédent au cours des dernières années en Europe. Le 15 juin dernier, la Commission européenne a publié un rapport sur les progrès accomplis vers la réalisation des objectifs fixés pour 2020 en matière d’énergies renouvelables. Il démontre que l’UE est en bonne voie pour atteindre son objectif de 20% d’énergies renouvelables dans le bouquet énergétique. Nous avons également atteint un taux de pénétration de plus de 15% et ce, grâce à une législation ambitieuse fixant des objectifs à chacun des Etats membres d’ici à 2020. Certaines technologies, telles le photovoltaïque, sont presque arrivées à maturité économique, alors que d’autres ont encore besoin de soutien pour être compétitives sur le marché.
Les renouvelables peuvent bénéficier d’un soutien pour éliminer les obstacles techniques ou financiers : c’est en ce sens que les lignes directrices concernant les aides d’Etat à la protection de l’environnement et à l’énergie pour la période 2014-2020 (adoptées en juillet 2014), autorisent, sous certaines conditions, le soutien aux énergies renouvelables. Ces lignes directrices prévoient aussi la fin de subventions injustifiées et supportent la nouvelle approche “marché” entérinée par le Conseil européen de mars 2014.
A partir du 1er janvier 2017, les aides devront être octroyées à l’issue d’une procédure de mise en concurrence fondée sur des critères clairs, transparents et non discriminatoires. Des exceptions à cette règle seront d’application pour des cas spécifiques.
Peuvent-elles être le vecteur d’une nouvelle croissance économique en Europe ?
D. R. : Dès la publication de ses orientations politiques, le Président Jean-Claude Juncker avait annoncé son souhait que l’Union de l’Energie devienne le numéro un mondial des énergies renouvelables.
Les énergies renouvelables font partie intégrante de la relance de l’économie européenne. En effet, elles pèsent de plus en plus dans notre économie. Aujourd’hui, les exportations d’énergies renouvelables totalisent 35 milliards d’euros par an. Les actions destinées à “dé-carboniser” notre production d’électricité ont fortement stimulé la croissance des secteurs de l’énergie éolienne et solaire en particulier, ce qui a eu une incidence considérable sur les réseaux électriques et les coûts de production de l’énergie.
La Chine et les Etats-Unis représentent plus de 40% des émissions de gaz à effet de serre (GES) ; quel peut être le succès de la COP 21 si ces deux grands acteurs ne s’engagent pas?
D. R. : Il existe une opportunité historique de parvenir à un accord en décembre à Paris, si toutefois la négociation est conduite de manière politique et suffisamment souple. L’évolution des positions chinoise, indienne et américaine, ouvre la voie à un possible accord lors de la COP 21.
Le soutien de l’industrie sera également primordial si nous voulons conclure un accord ambitieux, équitable et universel sur le climat.
Les entreprises européennes ont un rôle clé à jouer dans ce contexte. Les entreprises du secteur européen des énergies renouvelables affichent, en effet, un chiffre d’affaires annuel global de 129 milliards d’euros et emploient plus d’un million de personnes. Le défi consiste à sauvegarder et renforcer la suprématie de l’Europe au regard de l’investissement mondial dans les énergies renouvelables et l’éco-industrie de manière plus générale.
