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M. Philippe Duron

Président de L’AFITF

Philippe Duron, président de l’AFITF.
Philippe Duron,
président de l’AFITF.

Afin de limiter efficacement les dégradations de nos chaussées, il faut rapidement porter à 500 M€ notre budget annuel.

 

L’AFITF a fêté ses 10 ans l’année dernière, quel est votre bilan concernant les infrastructures françaises ?

En dix ans, l’AFITF a permis à l’État français de soutenir une politique de développement et d’entretien des réseaux de transport ambitieuse et efficace. Le principe des recettes affectées est soumis à des critiques réitérées par les tenants de l’orthodoxie budgétaire. Pourtant, ce dispositif a permis, depuis 2005, de mettre en place des financements puissants et réguliers sur le long terme au service des infrastructures de transport. Le cantonnement, dans une agence ad hoc, a également fait ses preuves chez nos voisins européens pour l’entretien, la modernisation ou la création d’infrastructures. L’agence a ainsi adopté depuis sa création plus de 500 conventions représentant 33 milliards d’euros d’engagements, dont 21 milliards d’euros de crédits de paiement, et ce dans tous les modes de transport. Les engagements ont porté pour près des deux tiers sur des modes complémentaires aux routes, confirmant ainsi le rôle de vecteur financier du report modal de l’AFITF.

Toutefois, si l’AFITF a prouvé en dix ans qu’elle était une institution résiliente, elle souffre depuis sa création d’un manque de ressources affectées à la hauteur des besoins nécessaires, pour financer les projets décidés par le gouvernement et le Parlement. La privatisation des sociétés d’autoroutes en 2005 et l’abandon de l’écotaxe en 2013 ont successivement fragilisé le caractère pérenne et dynamique des ressources pour l’agence. Fort heureusement, les gouvernements ont perçu ce risque et trouvé les recettes de substitution nécessaires : subvention d’équilibre en 2006, augmentation de la TICPE sur le diesel en substitution aux recettes attendues de l’écotaxe. Les budgets 2017 et 2018 nécessiteront une augmentation substantielle des ressources pour faire face à des dépenses nouvelles liées aux contrats de partenariat ferroviaires et à la montée en charge des financements du tunnel ferroviaire Lyon-Turin.

« La remise en état d’un réseau dégradé est d’un coût sans commune mesure avec celui d’un entretien régulier et suffisant. Réduire la voilure en raison des difficultés serait un choix à courte vue. »

L’importance et la qualité de nos réseaux de communication constituent un élément déterminant de l’attractivité du site France. Il importe de maintenir cet avantage; pour cela, il convient d’assurer dans de bonnes conditions l’entretien et la modernisation de ce patrimoine exceptionnel. La sécurité des usagers comme la qualité d’usage de ces infrastructures sont à ce prix. La remise en état d’un réseau dégradé est d’un coût sans commune mesure avec celui d’un entretien régulier et suffisant. Réduire la voilure en raison des difficultés serait un choix à courte vue. Bien au contraire, il faut renforcer l’effort engagé par l’État ces deux dernières années.

 

La tentation de ne pas rénover les réseaux et d’attendre est souvent dénoncée par les professionnels des TP comme créant de la « dette grise ». Quelle est la responsabilité des politiques en la matière ?

Les politiques d’infrastructures de transport sont en effet des questions de choix, de priorités. Et la tentation est souvent grande, de surcroît dans un contexte de crise économique et sociale, de geler ou du moins repousser au maximum certaines dépenses publiques, notamment en ce qui concerne l’entretien et la modernisation des réseaux de transport, qui ne sont pas immédiatement perceptibles. Or, c’est ce que nous avions souligné dans le rapport Mobilité 21 en 2013, c’est d’abord en confortant la qualité des réseaux que l’on répondra aux besoins prioritaires de la société en matière de déplacements.

Dans le ferroviaire par exemple, des alertes ont été lancées sur l’état du réseau grâce à l’École polytechnique de Lausanne en 2005 puis en 2012, alertes qui ont été confirmées dans le rapport Mobilité 21. L’accident ferroviaire de Brétignysur-Orge en juillet 2013 a tragiquement mis en évidence l’urgence des efforts à réaliser. La vigilance s’impose également sur le réseau routier si l’on ne veut pas s’exposer aux mêmes risques. La création en janvier dernier de l’observatoire partagé entre l’État et l’IDRRIM permettra de mieux suivre les indicateurs de qualité des chaussées et des ouvrages, et donc de mieux affecter les besoins disponibles. Le gouvernement a pleinement fait siennes depuis 2012 ces priorités accordées à la sécurisation des réseaux. Il est indispensable désormais de pérenniser ces dépenses d’entretien, au-delà des alternances politiques qui peuvent se faire jour au niveau de l’État comme des collectivités territoriales.

«L’accident ferroviaire de Brétigny-sur-Orge en juillet 2013 a tragiquement mis en évidence l’urgence des efforts à réaliser. La vigilance s’impose également sur le réseau routier si l’on ne veut pas s’exposer aux mêmes risques.»

 

Quelles sont les actions de l’AFITF face au désengagement de l’État et à la baisse des dotations aux collectivités locales. D’autres modes de financement sont-ils envisageables, si oui lesquels ?

L’AFITF, rappelons-le, ne génère pas de dépenses nouvelles, elle honore les décisions du gouvernement et du Parlement. C’est l’outil financier de l’État pour l’exécution des budgets que celui-ci décide d’allouer aux infrastructures de transport ; elle agit donc en établissement public transparent. Elle permet de garantir des financements pluriannuels et donne une meilleure visibilité à la politique d’investissements de l’État en matière d’infrastructures de mobilité. Enfin, le caractère paritaire de son conseil d’administration renforce la transparence des décisions publiques et permet un contrôle plus proche du Parlement.

D’autres modes de financement que ceux de la puissance publique sont naturellement envisageables nous l’avons nettement observé ces dernières années avec le développement des contrats de partenariat, appelés plus communément « PPP », mais aussi au travers d’un mode de financement plus classique, celui de la concession. L’investissement privé a en effet l’avantage considérable d’être rapidement et abondamment mobilisable, et le recours à ce type de contrats permet à l’État, outre le « partage de risques » souvent mis en avant dans le cas du contrat de partenariat, de ne pas avancer de financements avant livraison de l’infrastructure. Il permet également d’assurer la maintenance de l’infrastructure pendant la durée du contrat, c’est-à-dire dans la longue durée. Reporter des dépenses publiques en période budgétaire difficile est pour le moins tentant. Il faut toutefois rester prudent avec cet outil qui, bien qu’efficace, génère souvent un coût financier très élevé. Pour assurer le bon développement de ces modes de financement, l’État doit ainsi s’armer au maximum pour consolider au mieux les évaluations préliminaires de ces projets et ce afin d’éviter les mauvaises surprises.

 

Quelles sont les actions à mener en urgence ?

L’entretien et la modernisation des réseaux, voilà la première des priorités. En matière ferroviaire, la désaturation des grandes gares nécessite du temps et des moyens importants. Le contournement ferroviaire lyonnais, la « transversalisation » de la gare Saint-Charles à Marseille ou l’augmentation de capacité dans le Mantois n’en sont que quelques exemples. Sans investissements conséquents et ciblés sur ces noeuds, certes très lourds en termes de montants financiers comme en logis tique pour assurer les déplacements des usagers en période de travaux, l’ensemble des projets ferroviaires perd une grande partie de son intérêt, l’arrivée dans les villes étant lourdement congestionnée et source de nombreux retards. L’avenir des ports, quant à lui, est fortement conditionné par l’amélioration des liaisons terrestres.

La modernisation ferroviaire de Serqueux-Gisors est à cet égard essentielle pour le pré- et le post-acheminement du fret du Grand Port maritime du Havre. Enfin, même si l’effort financier de l’État s’est accru ces deux dernières années sur les crédits routiers, il est indispensable de les porter rapidement à un niveau supérieur, de l’ordre de 500 M€ par an, et ce afin de limiter efficacement la dégradation des chaussées.

 

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