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M. George Ivașcu

Ancien Ministre de la Culture et de l’Identité Nationale

A mesure que s’approche la présidence roumaine du Conseil de l’Union Européenne, je mesure la responsabilité et l’ampleur des tâches qui nous reviennent. Je suis aussi conscient que pour certains de nos partenaires, la Roumanie est un membre insuffisamment connu, prisonnier parfois de certains clichés. La vérité est, comme souvent, beaucoup plus complexe. Avant toute approche économique ou sociale, il existe une réalité culturelle qui est le point de départ pour mieux comprendre une nation paradoxale.

 

George Ivașcu Ministre de la Culture et de l’Identité Nationale

Les Roumains sont des Latins, mais des Latins qui ont vécu entourés de Slaves. Ils sont des chrétiens, mais qui ont passé des siècles sous l’emprise ottomane. Les Roumains ont réussi à garder leur identité à la croisée des grands empires, tout en subissant leurs influences et en y accueillant un nombre significatif de minorités nationales. La Roumanie est encore aujourd’hui une véritable mosaïque de peuples d’Europe occidentale et méridionale, un pays qui possède un grand nombre de confessions religieuses et qui a transformé le concept de tolérance en pratique courante.

De plus, notre traditionnelle appartenance à l’espace francophone s’est enrichie ces dernières années d’une jeune génération largement anglophone, dont des millions ont déjà une expérience personnelle de l’Europe, pour y avoir voyagé et souvent étudié et travaillé. Tout cela pour dire que la Roumanie n’est pas seulement un pays «de l’Est », mais aussi du Sud ou du Centre, suivant le regard qu’on y pose. Pour nous, le multiculturalisme n’est pas une notion récente.
D’autre part, nous comprenons certaines angoisses concernant les risques de nivellement et de perte d’identité au milieu du tourbillon de la globalisation, pour avoir vécu nous-mêmes par le passé des pressions comparables. Nous leur avons résisté moins par la force de notre économie ou de nos armées que par la préservation de notre culture nationale, de nos croyances et traditions, de nos penseurs et artistes. Une période de totalitarisme communiste a laissé de profondes blessures dans la conscience publique, endommageant le courage et l’attitude sociale de toute une génération. Pour la Roumanie, cela a été une dure leçon de survie. Toutes ces expériences digérées nous ont mieux préparés pour les enjeux communautaires actuels.

L’Union relancée, que nous appelons de nos vœux, se doit d’être plus proche de ses citoyens. C’est une de nos priorités et elle passe d’abord par la culture. Il nous faut une coopération accrue dans le domaine culturel, en privilégiant les arts vivants et ceux de l’image – plus proches de nos jeunes – mais aussi en revalorisant notre immense héritage. Ce patrimoine, commun par les valeurs et riche de son incroyable diversité, constitue simultanément la plus noble des cartes de visite de l’Europe et la plus détaillée de ses cartes d’identité. L’Europe de demain devra être d’abord celle des valeurs et de la création, de l’exigence de notre pensée et de l’audace de nos cœurs.

Nous espérons arriver à un large consensus autour de ces objectifs, même si les débats actuels témoignent parfois d’une tendance à la polarisation. Pour remédier à cela, l’approche roumaine sera celle de la modération et du respect de la diversité. Dans le domaine culturel, plus que dans tout autre, la créativité et la sagesse ne viennent pas seulement des grandes métropoles, mais souvent d’endroits plus reculés ou modestes. Brancusi ou Enesco, Tristan Tzara ou Cioran, Panait Istrati ou Eugène Ionesco, la plupart de nos grands intellectuels et artistes se sont souvent formés à Paris, Vienne ou Berlin, mais ils y sont allés avec la sensibilité et les traditions de leurs villages et avec une bonne connaissance d’autres cultures minoritaires. Ils ont réussi d’autant mieux qu’ils ont su faire chacun une synthèse de tous ces ingrédients. Comme souvent, la meilleure avant-garde ne contredit pas seulement la pensée dominante, mais puise ses racines encore plus profondément, dans des zones de tradition presqu’oubliées.

L’ambition de la présidence roumaine est d’abord de favoriser et de fluidiser les rapports entre les nations de grand rayonnement culturel et les moins connues, de faciliter la traduction des espoirs de chacun, de relancer la préservation et la découverte de cette diversité linguistique et culturelle qui est notre richesse commune. La modernisation technologique et la globalisation économique ne nous provoquent pas seulement à réagir ensemble, mais aussi à puiser dans nos anciens et profonds réservoirs d’audace et de créativité. Notre impatience latine nous fait rêver d’y arriver en un seul bond, mais notre expérience séculaire nous a appris à procéder par petits pas. Cela a l’avantage de garantir un rythme constant, de consolider chaque acquis et surtout de ne laisser personne derrière. Car en matière de culture, les grandes avancées ne se sont pas faites seulement par les révélations fulgurantes de quelques grands génies, mais surtout par la sédimentation, patiente mais inarrêtable, de certaines valeurs dans notre inconscient collectif. Je ne vois pas là deux vitesses, mais une approche plus musicale. Dans un grand orchestre, chaque instrument, petit ou grand, a une contribution essentielle à l’harmonie du résultat final.

 

George Ivașcu
Ancien Ministre de la Culture et de l’Identité Nationale

 

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