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Pourquoi l’Europe pense pouvoir signer la paix entre Azerbaïdjanais et Arméniens avant la fin de l’année

Le président du Conseil européen_ Charles Michel (au centre), le Premier ministre arménien, Nikol Pachinian (à droite), et le président azerbaïdjanais, Ilham Aliev (à gauche)(DURSUN AYDEMIR / ANADOLU AGENCY / AFP)

Cela fait trois ans que Arméniens et Azerbaïdjanais cherchent à construire la paix après avoir fait la guerre. Depuis la signature du cessez-le-feu le 10 novembre 2020 entre Arméniens et Azerbaïdjanais après 44 jours de guerre qui a vu Bakou récupérer le Karabakh, occupé par l’Arménie pendant 27 ans, la pacification de la région et la coopération régionale sont devenus des enjeux majeurs pour les deux pays. Au-delà, les médiateurs de crise que sont désormais l’Union européenne et la Russie, tentent par tous les moyens de signer une paix durable entre Bakou et Erevan.  Même si Vladimir Poutine rêve de réussir, Bruxelles a clairement l’avantage.

Les rounds de négociation entre le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev et le premier ministre arménien Nikol Pachinian, se suivent et ne se ressemblent pas. Il y en a eu quatre depuis l’année dernière dans la capitale de l’Union européenne sous la houlette de Charles Michel, le président du Conseil européen. Comme dans une partie de flipper, les dirigeants de facto des deux pays font des allers retours réguliers entre Bruxelles et Moscou pour tenter de régler les différends qui bloquent encore dans la signature d’un accord final de paix entre eux. L’un comme l’autre ont l’envie d’y parvenir. Soutenus par leur peuple, ils cherchent la solution qui sera non seulement la moins contraignante pour tous mais qui ne risque pas de déclencher dans le futur des velléités de vengeance et de revanche de part et d’autre.

Si l’Azerbaïdjan est en position de force, et a le droit international de son côté, avec trois résolutions des Nations Unies depuis 1992 en sa faveur, l’Arménie de Pachinian comprends petit à petit, et la poursuite des négociations le prouve, que le Karabakh est définitivement revenu dans le giron azerbaïdjanais comme l’ONU l’avait souhaité au moment de l’occupation. Les déclarations récentes des dirigeants arméniens à maintes reprises parlant d’une superficie de l’Azerbaïdjan équivalant à 86600 km2, sous-tendent la prise en compte des territoires récupérés en 2020. Il faut rebondir désormais sur cette base.

Le premier Ministre arménien a pris de gros risques, en signant l’accord tripartite en 2020 : il aurait pu sauter aux élections qui ont suivi en juin 2021 mais il a été réélu par le peuple à 54%, ce qui est bien la démonstration que les Arméniens de l’intérieur en ont marre et veulent aboutir à la paix. Et ils font confiance à Pachinian pour cela. En revanche, on peut s’interroger des vrais intérêt de la diaspora qui continue à agiter le chiffon rouge et faire de l’Azerbaïdjan le responsable de tous les malheurs des Arméniens, notamment en continuant à véhiculer l’idée que Bakou voudrait en finir avec les Arméniens du reliquat de territoire qu’Erevan contrôle encore. Voire de vouloir exterminer à terme l’ensemble des Chrétiens d’Orient. Jusqu’à accuser Bakou d’isoler depuis des mois l’enclave séparatiste et affamer quelques dizaines de milliers de personnes sur place, alors que des milliers de camions circulent pour approvisionner le territoire. Si tel était le cas, on verrait des images tragiques, or rien.

Cela prouve aussi que Pachinian sait ce qu’il se passe et qu’il considère qu’il est toujours plus intéressant de négocier avec son futur ancien ennemi, que de rejeter toute avancée des discussions. A Moscou, la rencontre trilatérale du 25 mai a duré peu de temps : vingt minutes. Si le Kremlin avait de l’espoir, c’est une chance pour l’Europe de reprendre la main dans des échanges qui en général durent plus longtemps à Bruxelles et font espérer la signature d’un accord avant la fin de l’année 2023 au cœur de l’Union européenne. On y échange régulièrement autour du déminage du territoire, du statut de la province sécessionniste, du tracé final des frontières et de la réouverture des voix de circulation, à commencer par le rétablissement des chemins de fer qui unissent les deux pays.

La priorité pour Bakou est la réouverture de Zangezur, qui permettrait de joindre l’Azerbaïdjan à sa province coupée du Nakhitchevan et d’accélérer le grand projet TRACECA, soutenu depuis des années par l’UE, et qui boosterait la circulation des personnes et surtout des marchandises entre l’Europe et l’Asie. Selon l’article 9 de la déclaration tripartite de 2020, l’Arménie devait ouvrir une voie mais rejette l’idée de corridor qui impliquerait la notion d’extra-territorialité. Pourtant, l’ouverture des voies au plus vitre favoriserait l’ensemble de la région, Arménie comprise qui est exsangue économiquement. Elle profiterait aussi de la manne, dans un contexte où Russie et Iran étant sous sanctions, la seule voie de circulation possible désormais des marchandises passe par Zangezur.

 Après la médiation russe pour parvenir à un arrêt des combats, et dans un contexte actuel où la Russie est empêtrée sur le front ukrainien, Bruxelles joue là une carte majeure de sa diplomatie. Par la voie de Charles Michel, le président du Conseil européen, l’Europe espère redevenir une puissance diplomatique et de médiation. Cela est bon pour la sécurité du Caucase-sud, mais cela sera bon pour notre propre sécurité également. D’autant que depuis le début de la guerre en Ukraine, l’Europe a un intérêt majeur en termes énergétiques avec l’Azerbaïdjan, avec qui elle a signé cet été un nouvel accord de partenariat autour du gaz pour rompre sa dépendance énergétique russe. C’est aujourd’hui clairement de l’intérêt des deux pays d’aller dans le sens de la paix : prospérité économique, pacification des relations entre les deux sociétés, coopération régionale, désenclavement de l’Arménie et dynamisme global des échanges entre tous les pays voisins. Erevan doit faire de grosses concessions, mais a-t-elle le choix, après s’être en partie ruiné avec une occupation militaire de près de 30 ans dont elle n’a tiré aucun bénéfice ?

 

Sébastien Boussois

Docteur en sciences politiques, chercheur monde arabe et géopolitique, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), du CNAM Paris (Equipe Sécurité Défense) et du NORDIC CENTER FOR CONFLICT TRANSFORMATION (NCCT Stockholm)

Facebook: Sébastien Boussois

Twitter: @Sboussois

 

« L’art de la connaissance, c’est de savoir ce qui doit être ignoré. » Rumi

 

 

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