Retrouvez-nous sur :

M. Bruno Le Maire

Ministre Français de l'Économie et des Finances

L’économie mondiale est arrivée à la croisée des chemins, ouvrons la voie au capitalisme du 21 ème siècle.

Avec la concrétisation des risques climatiques, la montée du populisme dans de nombreuses juridictions et la manifestation des jeunes pour l’action climatique, l’implication de toutes les parties prenantes est devenue cruciale pour transformer notre économie vers une voie plus durable. Nous pourrions bien être la dernière génération ayant la possibilité d’agir avant que les conséquences de l’activité humaine sur notre planète ne deviennent irréversibles. Les législateurs n’ont pas le pouvoir de changer à eux seuls le cours des événements : le rôle de la société civile et des entreprises sera essentiel pour réaliser ce changement. Il y a urgence. L’impact économique du réchauffement climatique est devenu évident. Le dernier rapport du GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat) estime que l’élévation du niveau de la mer dans l’hémisphère sud à elle seule créera 280 millions de réfugiés. De graves sécheresses peuvent déclencher des crises de la dette souveraine dans certains pays fragiles comme le Zimbabwe par exemple. Des événements météorologiques extrêmes comme les inondations risquent davantage de se produire. Ceci entraînera les entreprises à subir de lourdes pertes. Le climat devient une question de stabilité financière. La prise de conscience sur ces questions dans le monde de l’entreprise est devenue plus vive au cours des dernières années.

La loi PACTE adoptée en avril dernier en France a redéfini le rôle des entreprises. La loi a englobé les enjeux sociaux et environnementaux, et a permis aux entreprises d’adopter un but précis allant au-delà du profit. C’est le début d’une tendance mondiale : il y a quelques semaines, la Business Roundtable, qui rassemble les PDG de quelques-unes des plus grandes entreprises américaines, a reconnu dans une déclaration commune que les entreprises devraient faire passer la responsabilité sociale avant le profit. La croissance durable a également été un élément central des discussions du sommet du G7 à Biarritz fin août. L’initiative « Business for Inclusive Growth » (B4IG, ou Entreprises Pour la Croissance Inclusive), menée par Emmanuel Faber – PDG de Danone – en partenariat avec l’OCDE a déjà réunie 34 entreprises de 3,5 millions de salariés dans le monde. Le système financier doit soutenir ce changement global et tenir compte des facteurs ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) dans les décisions d’investissement. Pourtant, les informations non-financières ont longtemps été considérées comme inutiles. Nous avons besoin d’une amélioration substantielle de la qualité et de la pertinence des données non-financières pour au moins deux raisons.

Premièrement, les facteurs ESG deviennent de plus en plus importants et pourraient devenir aussi pertinents que les données financières dans un proche avenir. Les facteurs sociaux et de gouvernance sont depuis longtemps considérés comme des moteurs de croissance et de stabilité pour les entreprises, mais leur importance augmente en raison des risques de réputation qui se reflètent facilement sur les marchés financiers. Le risque environnemental a longtemps été ignoré, en partie à cause de la soi-disant « Tragédie de l’horizon » telle que définie par l’actuel gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mark Carney. Pourtant, le changement climatique et l’accroissement des événements météorologiques extrêmes font des risques matériels une réalité pour les entreprises, avec des répercussions qui occupent déjà une place importante aujourd’hui.

Deuxièmement, les investisseurs, les actionnaires et les propriétaires d’actifs faisant pression pour une divulgation plus pertinente d’informations ont connus une croissance ces dernières années. Des structures telles que les Principes Non-Soutenus pour les Investissements Responsables, les Fonds Souverains One Planet et le Comité de Travail de Gestionnaires de Biens One Planet émergent, rassemblant des investisseurs de toutes tailles et de tous types. Ces investisseurs souhaitent intégrer efficacement les facteurs ESG dans leurs stratégies d’investissement. Cela ne peut être réalisé que par une divulgation pertinente et comparable d’informations non-financières par les entreprises. Les données non-financières manquent de cohérence et de pertinence par rapport aux besoins des utilisateurs finaux. Il n’y a pas d’ensemble harmonisé d’indicateurs ESG au niveau européen, ce qui laisse les entreprises à rédiger des centaines de pages de rapports, compliquant ainsi les choses pour les investisseurs. De nombreuses données ESG sont fournies par des agences d’évaluation d’informations et des fournisseurs de données non-financières. Mais le manque de mesures standardisées entre les entreprises rend presque impossible la comparaison d’indicateurs tels que les émissions de gaz à effet de serre – car l’étude des émissions n’est pas précise – ou même les effectifs au sein des entreprises. Pour être efficaces, les stratégies ESG doivent être étroitement intégrées dans les modèles de gouvernance d’entreprise. Les rapports non-financiers devraient être incorporés dans les rapports de gestion et être officiellement examinés régulièrement par les organes de gouvernance concernés. Des initiatives de toutes sortes se sont développées au cours des dernières années, mais je crois fermement que le moment est venu de normaliser davantage et de clarifier les choses afin d’intégrer l’utilisation d’informations non-financières dans la gouvernance d’entreprise – et, par conséquent, dans la prise de décision financière. Le développement d’un référentiel de reporting extra financier de haute qualité, fondée sur les meilleures pratiques, est désormais indispensable pour stimuler la performance sociale et environnementale des entreprises et engager notre économie dans un chemin de croissance durable. C’est également la clé du développement d’une finance responsable, pleinement mobilisée en faveur de la transition énergétique.

La France portera des propositions fortes en ce sens suite aux conclusions d’un rapport approfondi publié en juillet 2019 par Patrick de Cambourg, Président de l’Autorité des Normes Comptables. La France plaidera cette cause au niveau européen et accompagnera la création de normes légales de divulgation de facteurs ESG pour les entreprises. En définissant les facteurs ESG pertinents et en favorisant une divulgation efficace de ces facteurs, nous pouvons faire évoluer l’économie vers une voie plus durable. L’Europe doit être le fer de lance de cette ambition et créer une nouvelle forme de gouvernance d’entreprise plus responsable et conforme à nos engagements à long terme, tels que les objectifs de l’Accord de Paris et les Objectifs de Développement Durable des Nations unies. Cela ouvrira la voie au capitalisme du 21ème siècle – un capitalisme basé sur les valeurs communes de notre continent.

Cette transition urgente, nous la devons aux générations futures !

Spread the news