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Emmanuel KATRAKIS, EURIC

Secrétaire Général de EuRIC, Confédération Européenne des Industries du Recyclage

Emmanuel KATRAKIS

Pouvez-vous nous présenter l’EURIC, ses missions et compétences

La Confédération Européenne des Industries du Recycling (EuRIC) est le syndicat professionnel des industries du recyclage au niveau européen. Nos Membres sont constitués des Fédérations nationales de recyclage présentes dans la majorité des Etats membres de l’Union européenne (UE) et l’Espace Economique Européen (EEE), ainsi que d’entreprises lorsqu’il n’y a pas de syndicat national pour certaines filières. EuRIC a été créée en 2014 à l’initiative de Fédérations européennes préexistantes représentant le recyclage et le commerce des métaux ferreux (EFR), non-ferreux (EUROMETREC) et du papier-cartons (ERPA), qui ont décidé d’unir leur force afin de créer une structure leur permettant d’accroître la représentations des activités du recyclage auprès des institutions de l’UE. EuRIC est donc une Confédération relativement jeune venant de fêter ses cinq ans à l’occasion de la Conférence européenne du recyclage qui s’est déroulée, pour sa troisième édition, à Paris, et qui n’a de cesse de s’agrandir. Cette croissance s’explique principalement par deux facteurs. Premièrement, la nécessité impérieuse pour l’industrie du recyclage de structurer sa représentation afin de peser sur les décisions prises au niveau européen qui impactent directement ses activités. Deuxièmement, l’intérêt croissant des institutions européennes pour le recyclage tant pour sa dimension industrielle que ses bénéfices environnementaux. Si la politique européenne de gestion des déchets à plus de quarante ans avec la publication de la première directive relative aux déchets en 1975(1), la publication du Paquet Economie Circulaire en décembre 2015(2) par la Commission Juncker a clairement changé la donne dans la mesure où les mesures programmatiques qu’elles annonçaient ne concernaient pas uniquement la politique de l’UE en matière de déchets mais l’ensemble du cycle de vie d’un produit, de sa conception à sa valorisation lorsqu’il arrive en fin de vie.

Cette évolution, pour ne pas dire révolution, a profondément impacté le développement et la nature des activités d’EuRIC. Ainsi si la mission première d’EuRIC est la représentation des intérêts du recyclage auprès des institutions européennes, cette mission est multi-dimensionnelle et demande de multiples compétences pour être remplie de manière adéquate.

Elle porte tout d’abord sur l’analyse politique, réglementaire et technique de la législation relative aux déchets qui a été révisée et continue d’être révisée afin d’accroître les objectifs de recyclage, d’harmoniser certains éléments tels que la méthode de calcul de ces objectifs ou a minima le mode de fonctionnement des systèmes de responsabilité élargie du producteur (REP) à travers les Etats membres. Cette législation est relativement complexe dans la mesure où elle fixe non seulement les objectifs de recyclage mais également les règles liées à la classification des déchets, aux limites d’émissions pour les installations de recyclage tombant dans le champ d’application de la Directive sur les émissions industrielles(3) ainsi qu’à leur transfert transfrontalier et par extension au commerce international.

Elle porte ensuite sur les instruments législatifs, économiques et/ou volontaires visant à mieux prendre en compte la recyclabilité des produits au stade de leur conception et sur l’incorporation des matières recyclées dans les nouveaux produits afin de poser les conditions nécessaires à une véritable économie circulaire.
Enfin, EuRIC organise une à deux conférences par an visant à promouvoir le recyclage et créer un espace de rencontre entre décideurs européens et professionnels du recyclage.

Le Secrétariat d’EuRIC est donc composé de collaborateurs ayant des compétences juridiques, techniques notamment en termes de chimie des déchets et économiques qui sont nécessairement complémentaires, eu égard aux sujets traités. Last but not least, le Conseil d’administration rassemble, à l’image de la Confédération, des administrateurs dirigeant des F édérations nationales et entreprises des quatre coins de l’Europe. Le premier président d’EuRIC fut français en la personne de Dominique MAGUIN (FEDEREC), le deuxième allemand, Michael SCHUY (BDSV) et le troisième italien, Cinzia VEZZOSI (ASSOFERMET).

 

Eurostat / European Commission

 

Quels sont les grands chantiers en cours sur lesquels vous allez vous positionner, je pense notamment à l’écoconception, au soutien nécessaire et à la prise en compte des matières recyclées ?

Il y en a plusieurs. Le premier est à l’évidence de mieux transposer la législation existante. La devise de l’UE, à savoir « Unie dans la diversité », est malheuresement facilement transposable au secteur du recyclage puisque malgré des directives sur les déchets constamment révisées depuis 40 ans, les performances des Etats membres en la matière sont largement disparates.

Prenons par exemple les statistiques d’EUROSTAT relatives au taux de valorisation des déchets municipaux. Si certains pays européens tels que l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, les Pays-Bas ou encore les pays scandinaves ne mettent pratiquement plus de déchets ménagers en décharge et ont déjà atteints ou sont en passe d’atteindre un taux de recyclage de 50% sur la base de la méthode actuelle de calcul, d’autres en sont encore bien loin et mettent en décharge la majorité des déchets collectés. On retrouve des différences notables dans bien d’autres domaines impactant directement les recycleurs en Europe. Par exemple, les procédures de transferts transfrontaliers, en plus d’être inadaptées à une économie circulaire, ne sont pas interprétées de manière uniforme d’un pays à l’autre, ce qui pose concrètement des problèmes juridiques et administratifs substantiels aux opérateurs de recyclage. La France, en mettant en place le Pôle National des Transferts Transfrontaliers de Déchets (PNTDD) qui est une autorité centralisée compétente en la matière, montre l’exemple à l’opposé des Etats membres où différentes autorités, notamment régionales, demeurent compétentes. Ce qui pose des problèmes d’uniformité de l’interprétation au sein de ce même Etat.

En prenant la hauteur nécessaire, le plus grand chantier pour accélérer la transition vers une économie circulaire est la création d’un véritable marché intérieur du recyclage ouvert sur le monde. Si le Paquet économie circulaire a permis conceptuellement de changer de paradigme, le déchet étant considéré comme ressource et non comme déchet, le chemin à parcourir est encore long

 

Concrètement, les priorités sont multiples :

• Premièrement, adapter le règlement encadrant le transfert transfrontalier des déchets aux objectifs de l’économie circulaire en simplifiant et en harmonisant significativement les procédures administratives applicables tant aux déchets non dangereux (procédure dite d’annexe VII) qu’aux déchets dangereux (procédures de notification). L’objectif est de réduire les écarts d’interprétations entre Etats membres, accélérer les flux de matières pour et issus du recyclage entre installations industrielles équipées pour les traiter ou les utiliser et permettre aux autorités compétentes de dégager plus de ressources pour lutter contre les transfert illégaux.

• Deuxièmement, il est important de mettre en place un cadre législatif offrant plus de sécurité juridique aux professionnels du recyclage. L’une des priorités doit être d’établir au niveau national et européen des critères de sortie du statut de déchets pour des flux tels que le papier ou les pneus. Le cadre législatif européen étant binaire en la matière – une matière est juridiquement soit un déchet, soit un produit – il est fondamental que le traitement de qualité des déchets valorisés en matières issues du recyclage répondant à des spécifications industrielles ou standardisées permette de sortir du statut de déchets. Une autre priorité est d’améliorer l’interface entre la législation applicable sur les substances chimiques et celle applicable aux déchets afin de l’adapter aux contraintes des chaînes de valeur circulaire.

• Troisièmement, il est tout autant fondamental de corriger les défaillances du marché qui n’internalisent aucunement les bénéfices environnementaux du recyclage en termes d’économie d’émissions et d’énergie. Ainsi, si le recyclage des déchets permet d’économiser jusqu’à plus de 90% de CO2 par rapport aux filières utilisant des matières premières issues des ressources naturelles, ces bénéfices environnementaux ne sont absolument pas reflétés dans le signal prix, qui dépend uniquement de l’offre et de la demande sur les marchés internationaux. Il est par conséquent urgent de mettre en place des mécanismes incitatifs qui valorisent ces bénéfices environnementaux et récompensent les chaînes de valeur utilisant des matières issues du recyclage. L’étude réalisée par l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie (ADEME) et la Fédération professionnelle des entreprises du recyclage (FEDEREC)(4) constitue une base solide pour progresser au niveau européen vers de tels mécanismes qui sont fondamentaux pour faire le lien entre transition vers une économie circulaire et lutte contre le changement climatique. Elle a notamment été citée par la Stratégie européenne sur les matières plastiques, publiée en janvier 2018 par la Commission européenne, pour mettre en exergue les économies substantielles de CO2 générées par le recyclage des plastiques.

• Quatrièmement, il faut progresser rapidement sur l’éco-conception. La phase de conception détermine 80% des impacts environnementaux d’un produit(5). Eu égard à la complexité croissante des produits mis sur le marché ainsi qu’à leur abondance liée à nos sociétés de consommation, il est impossible de réussir le virage vers une économie circulaire sans intégrer les exigences de circularité dès la phase de conception des produits. Plusieurs instruments existent, qu’il s’agisse des règlements d’éco-conception des produits liés à l’énergie, ou des standards en cours de développement afin de mesurer la recyclabilité et le contenu recyclé de ces mêmes produits ou encore des exigences essentielles pour les produits d’emballages en cours de révision. Il est fondamental d’intégrer dans chacun d’entre eux les critères et exigences qui permettront d’améliorer la réutilisation, la recyclabilité et le contenu recyclé des produits tombant dans leur champ d’applications lorsqu’ils arriveront en fin de vie.

 

A European Strategy for Plastics in a Circular Economy, 16.1.2018, COM(2018) 28 final

 

Comment inciter les industriels à mieux éco-concevoir les produits et utiliser ces matériaux recyclés et quels sont les freins à combattre en la matière ?

C’est la clé et elle nécessite un effort de part et d’autre. Actuellement, c’est l’envie des consommateurs en termes de prix, de design, de fonctionnalités qui dicte la conception et la production des produits mis sur le marché. Leur recyclage lorsqu’ils arrivent en fin de vie n’est quasiment jamais pris en compte. Il faudra faire de cette exception la règle et pour y arriver il faut activer différent leviers.

Premièrement, institutionnaliser l’échange indispensable entre producteurs et recycleurs afin que chacun puisse comprendre les contraintes des uns et des autres et créer les ponts nécessaires entre phases de conception et de recyclage. Ce travail commence à être effectuer dans le cadre de la révision des règlements éco-conception intégrant des critères visant à améliorer la recyclabilité des produits liés à l’énergie, des standards portant sur ces même catégories de produits ou plus largement de projets européens. Il est important de multiplier ce type d’échanges institutionaliser pour aboutir à des critères, règles ou meilleures pratiques permettant de mieux concevoir les produits.

Deuxièmement, l’approche basée sur le carotte et le bâton a toute sa place en matière d’éco-conception. EuRIC a soutenu dans le cadre de la directive cadre relative aux déchets(6) le principe d’éco modulation des contributions financières payées par les producteurs aux organismes de REP « compte tenu notamment de la durabilité, de la réparabilité, des possibilités de réemploi et de la recyclabilité de ceux-ci ainsi que de la présence de substances dangereuses ». Concrètement, cela permet de sortir d’un système de contributions uniquement basé sur le poids ou la quantité de produits mis sur le marché pour mieux prendre en considération leur circularité. Ainsi, un produit électronique qui est plus simple à démanteler, élément important tant en termes de réparabilité que de recyclabilité, qui ne contiendra pas de retardateurs de flamme bromés et qui contiendra par exemple des plastiques recyclés devrait être frappé d’une contribution sensiblement moindre qu’un produit similaire qui ne l’est pas.

Troisièmement, il est important de permettre aux consommateurs de devenir acteurs d’une économie circulaire, d’où la nécessité d’avancer sur une labellisation claire, harmonisée et vérifiable des produits « circulaires », soit parce qu’ils sont faits de matériaux recyclées et/ou qu’ils sont plus facilement recyclables.

Concernant les freins à l’utilisation des matières recyclées, ils sont nombreux mais sont tous surmontables. L’industrie du recyclage n’a pas attendu que l’économie circulaire devienne une priorité pour transformer déchets en matières recyclées substituant les matières premières primaires dans divers processus de production. Cela étant dit particulièrement pour les matières recyclées exposées à la concurrence de ces matières primaires, des instruments stimulant la demande en matières recyclées sont requis pour donner aux recycleurs une visibilité nécessaire à des investissements lourds et de long terme.

La politique européenne relative aux déchets s’est uniquement axée ces quarante dernières années sur une politique de l’offre en posant puis accroissant les objectifs de collecte et de recyclage des différents flux sans se soucier de leur demande. L’adoption de la directive sur les plastiques à usage unique(7) est en soi une révolution copernicienne puisque pour la première fois elle prévoit également des objectifs de contenu recyclé pour les emballages plastiques à l’horizon de 2025 (25% de plastique recyclé pour les bouteilles de PET) et 2030 (30% de plastique recyclé pour tous les emballages plastiques). Ces objectifs de contenu recyclé ont déjà un effet bénéfique sur la demande de PET recyclé et les investissements des industriels engagés en conséquence pour atteindre cet objectif à l’horizon 2025. EuRIC a naturellement œuvré à l’inclusion d’objectifs de contenu recyclé dans cette directive. Si de pareils objectifs ne sont pas duplicables pour toutes les matières, il convient de prévoir dans d’autres instruments européens en cours de révision des objectifs similaires pour stimuler la demande en matières issues du recyclage.

Les autorités publiques ont également un rôle majeur dès lors qu’elles utilisent systématiquement le levier des marchés publics. Ces derniers représentent pas moins de 14% du PIB annuel de l’UE. L’inclusion de critères de réparabilité, de recyclabilité et de contenu recyclé dans les procédures de marché publique contribuerait directement à valoriser les entreprises soumissionnaires proposant des produits plus circulaires.

Enfin, le développement de mécanismes incitatifs évoqués précédemment visant à internaliser dans le prix les bénéfices environnementaux du recyclage a un rôle essentiel à jouer. La mise en place de certificats d’incorporation de matières premières issues du recyclage, calqués sur le modèle des certificats d’économie énergie, ou d’une TVA réduite sur les produits incorporant de contenu recyclé constituent un maillon essentiel pour récompenser les chaînes de valeur faisant le pari de l’économie circulaire.

 

Emmanuel KATRAKIS
Secrétaire Général
Confédération européenne des industries du recyclage (EuRIC)

 

 

  1.  Directive 75/442/CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets.
  2. COMMUNICATION DE LA COMMISSION AU PARLEMENT EUROPÉEN, AU CONSEIL, AU COMITÉ ÉCONOMIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN ET AU COMITÉ DES RÉGIONS – Boucler la boucle – Un plan d’action de l’Union européenne en faveur de l’économie circulaire.
  3. Directive 2010/75/UE du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2010 relative aux émissions industrielles (prévention et réduction intégrées de la pollution).
  4. Évaluation environnementale du recyclage en France selon la méthodologie de l’analyse de cycle de vie, Avril 2017, ADEME – FEDEREC.
  5. Ecodesign. Your Future. How Ecodesign can help the environment by making products smarter, brochure, European Commission and Ecodesign, website, European Commission.
  6. Directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative aux déchets et abrogeant certaines directives (Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE).
  7. Directive (UE) 2019/904 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 relative à la réduction de l’incidence de certains produits en plastique sur l’environnement.
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