Retrouvez-nous sur :

Mme. Arielle Piazza

Nous ne devons plus penser le sport sans les femmes

Entretien avec Arielle Piazza, Présidente du CNDS (Centre national pour le développement du sport), Adjointe au maire de Bordeaux chargée des sports et ex-vice-présidente de l’Andes (Association nationale des élus en charge du sport)

En France, les femmes ont 2 fois moins accès que les hommes à la pratique sportive dans certains territoires. Le taux de licenciées féminines dans certaines fédérations sportives très populaires est de seulement 4 %. Et seules 20 % des femmes qui font du sport le font dans un club (1).

Arielle Piazza
Arielle Piazza

Quelle est votre analyse de la pratique du sport par les femmes ?

Nous pouvons considérer qu’il existe une évolution dans le domaine du sport féminin mais des entraves restent fortes. Je pense notamment au fait que le sport a été inventé pour et par les hommes. La prédominance compétitive, tournée autour de la performance, est une caractéristique surtout masculine. Cet état d’esprit a éloigné les femmes du sport d’autant plus qu’elles ne bénéficiaient pas d’offres sportives très ciblées. C’est la raison pour laquelle, dans ma jeunesse, j’ai réalisé un parcours sportif dans un environnement à dominante masculine. Pourtant, je pense que la mixité des pratiques est un atout ; la présence des hommes comme des femmes est nécessaire pour faire grandir le sport. Nous ne devons donc plus penser le sport sans les femmes.

De plus, il faut cesser le bricolage. Aujourd’hui, il nous faut un cap, des perspectives et de nouvelles organisations. La Conférence permanente du sport au féminin, à laquelle l’ANDES est représentée, est en ce sens une bonne initiative. Il faut en effet fédérer les organisations sportives mais aussi celles des collectivités, des fédérations, etc., afin de partager nos préoccupations et nos diagnostics. Il s’agit aussi d’identifier les évolutions des pratiques sportives et impliquer les femmes dans la gouvernance, leur donner des responsabilités. Notons que le sport féminin est désormais un secteur porteur. À tous les niveaux, collectivement et structurellement, cette dynamique doit s’enclencher mais nous n’y parviendrons que s’il existe une vraie volonté de changement dans un contexte où, aujourd’hui encore, les ancrages structurels, que j’observe tous les jours, demeurent.

Par ailleurs, c’est la raison pour laquelle nous avons constitué cette année au sein de l’ANDES, une commission interne « Sport au Féminin » qui travaille au développement de la pratique sportive féminine. À ce titre, nous avons mis en place courant septembre 2017 une enquête visant à étudier les politiques sportives des collectivités locales en faveur du sport féminin afin d’identifier les freins et les prérogatives pour accompagner ce développement.

« Il apparait que dans les quartiers populaires la fréquentation des équipements sportifs est à forte dominante masculine alors que dans les quartiers socialement privilégiés, il existe une quasi égalité. »

Aujourd’hui, les équipements sportifs sont-ils adaptés au sport féminin ? Quelles sont les attentes, les perceptions, des femmes en la matière ?

Nous devons non seulement être dans l’impulsion mais la réponse doit venir des collectivités, donc des équipements. Pour donner envie aux femmes de faire du sport, les vestiaires doivent par exemple sentir bon et être traités à égalité avec ceux des hommes. Dans la même idée, un gymnase doit être envisagé dans son accueil et son architecture comme un espace de bien-être. Puisque la plupart des nos équipements sont aujourd’hui obsolètes, ils nécessitent un vrai travail de réhabilitation qui peut sortir de la logique d’une pratique exclusivement masculine.

À cet égard, je travaille au sein d’un Observatoire à Bordeaux dont la mission vise à analyser la façon dont les femmes voient nos équipements, le nombre d’entre-elles qui les fréquente, etc. J’ai demandé à une stagiaire géographe d’étudier tous les équipements et tous les quartiers de la ville. Il apparait que dans les quartiers populaires la fréquentation des équipements sportifs est à forte dominante masculine alors que dans les quartiers socialement privilégiés, il existe une quasi égalité. Selon les disciplines proposées (volley, fitness, etc.), le nombre de femmes peut aussi être plus élevé. Cette étude a également révélé l’abandon d’une pratique sportive par des femmes au bout de trois mois. Après avoir interrogé les présidents de clubs et les bénévoles, il s’avère que cet abandon résulte d’un horaire, 21h-22h30, compliqué mais surtout d’un éclairage absent pour accéder à l’équipement. Autrement dit, ces femmes ont peur de sortir le soir, les conditions sont inconfortables.

Désormais, lorsque des équipements sont construits ou rénovés, nous consultons les pratiquantes afin qu’elles donnent leur avis à l’architecte et à la collectivité porteuse du projet. Elles sont là pour vérifier si le projet correspond à leurs attentes. C’est ainsi que nous avons agrandi, au dernier moment, un vestiaire dédié aux femmes, qui, pour une raison inconnue, avait été réduit par rapport aux plans initiaux où il était de même taille que celui des hommes. Nous nous sommes aussi rendu compte que l’éclairage était dominant sur la structure pour mettre en valeur l’architecture mais qu’il était très faible au niveau des accès. Début octobre, je rencontrerai aussi toutes les associations de femmes qui discuteront avec une architecte amenée à développer un projet pour créer un trait d’union entre un quartier politique de la ville (QPV) et un éco-quartier à dominante plus aisée. L’idée est que les femmes des quartiers populaires bénéficient autant du nouvel équipement que leurs homologues. Cette démarche pour toute nouvelle structure est désormais systématique. Les équipements sont en effet un incitateur à la pratique. Il est primordial de s’intéresser au public féminin car il ne faut pas oublier que notamment dans ces quartiers politiques de la ville, les femmes se retrouvent souvent en retrait. Aussi, nous avons un devoir d’intégration qu’une entrée par le sport peut faciliter.

Nous travaillons aussi avec des urbanistes afin de mettre en place un mobilier urbain intelligent qui permette une qualité de vie portée par des pratiques sportives en accès libre. Il s’agit alors de bien les positionner pour, une nouvelle fois, favoriser une mixité dans les usages. Enfin, en mai 2017, nous avons mis en place une activité physique gratuite encadrée dans tous les quartiers, à la même heure le samedi. Depuis le lancement, cette activité est fréquentée par 87% de femmes. Autrement dit, grâce à cet encadrement, cette offre apparait aux femmes plus sécurisée et correspondant à leurs attentes (pratiques douces comme le fitness, la marche nordique, etc.). Cette action s’inscrit dans une logique de prévention qui vise à préserver le capital santé de nos concitoyennes, un véritable enjeu de politique publique.

 DOSSIER IT29.pdf

Quelles solutions doivent êtres mises en place pour s’adapter à l’emploi du temps des femmes ?

À travers notre Observatoire, nous constatons qu’il n’existe que très peu d’offres sportives féminines entre 20h et 21h30. Dans nos contrats d’objectifs, nous demandons aux clubs d’orienter, autant que faire se peut, leur gouvernance vers la parité, de changer les horaires et d’organiser des journées de sensibilisation et de découvertes. Nous constatons néanmoins que les clubs s’inscrivent toujours dans un esprit de compétition au lieu de s’ouvrir aux publics féminins ou familiaux. Les femmes ne se retrouvent donc pas dans cette offre alors qu’elles ont une grande connaissance des pratiques sportives. En effet, ce sont elles qui gèrent les allées et venues de leurs enfants dans les clubs. De ce fait, en attentant leurs progénitures, elles lisent toutes les affiches du club mais ne se retrouvent pas dans ce qui est proposé. C’est la raison pour laquelle, et cela fonctionne, il est nécessaire que les clubs proposent des activités durant la journée, un créneau plus adapté aux femmes.

Dans les collectivités, nous pouvons également prendre des initiatives. Je pense, par exemple aux « dimanche sans voiture » où, à Bordeaux, des activités sportives permettent à une partie des 30% des Bordelais qui ne faisaient jusqu’alors aucun sport de venir faire du fitness, de la marche nordique, etc. La démarche de proximité, au plus près des habitants, est importante car elle peut ensuite orienter des femmes vers des clubs. Autre exemple, en été, nous offrons quatre semaines de sport gratuit qui accueillent 40 000 personnes dont 70% d’adolescents. Ces derniers sont composés pour moitié d’adolescentes. Lorsque nous organisons un événement de grande ampleur, nous arrivons ainsi à attirer un public féminin. Les obstacles à la pratique sportive féminine doivent être levés très rapidement par des démarches nombreuses, de proximité ou à grande échelle, qui démontrent, in fine, que faire du sport, pour toutes les femmes, c’est possible.

 

(1). Source : www.sports.gouv.fr

 

Spread the news