Retrouvez-nous sur :

L’EDUCATION AU GOUT EN FRANCE

MISE EN PERSPECTIVE

Les racines de l’éducation au goût

En France, le père de l’éducation au goût est Jacques Puisais. Dans un esprit visionnaire et très avance sur son époque, il met au point un programme d’éducation sensorielle destiné aux enfants. En 1974, ce programme prend la forme de dix leçons réparties tout au long de l’année scolaire : les premières Classes du Goût sont nées.

Conçues pour des élèves de 8 à 11 ans, ces séances explorent les mécanismes impliqués dans la dégustation : l’influence de la vue sur les autres perceptions sensorielles, l’importance de l’odorat dans le « goût », la palette des saveurs et des sensations trigéminales, la sensibilité tactile des doigts et de la bouche, etc.

Dans un esprit humaniste et à l’opposé de toute forme d’élitisme ou de normativité, cette pédagogie centrée sur l’individu et sa sensorialité est radicalement nouvelle : c’est une pédagogie qui se vit et s’incorpore en mettant les participants en situation. Dans cette pédagogie « pas comme les autres », l’enfant apprend à mieux tirer parti de ses capacités sensorielles et à poser des mots sur ses perceptions. Il découvre sa propre sensibilité aux odeurs et aux goûts et apprend à se situer par rapport aux autres goûteurs, dans le respect des différences inter-individuelles.

Jacques Puisais et ses équipes de l’Institut Français du Goût s’emploient alors à déployer ce programme pédagogique partout en France, sans jamais oublier à quel point la construction du goût de l’enfant est une conduite complexe. C’est ainsi que l’Institut Français du Goût puis l’Institut du Goût (fondé en 1999 et prenant la suite de l’Institut Français du Goût) se sont toujours entourés de chercheurs issus de différents champs disciplinaires, articulant ainsi les connaissances académiques avec les pratiques de terrain.

 

Des contenus en perpétuelle évolution

Au moment de la naissance des Classes du Goût, Matty Chiva (Directeur du Centre de Psychologie de l’Enfant de l’Université Paris X-Nanterre) écrivait : « Je suis frappé par la pauvreté des connaissances et des données expérimentales concernant deux sensations considérées comme archaïques, le goût et l’odorat, et leur place dans la dynamique adaptative de l’individu ».

Heureusement, la fin du XXe siècle voit régresser cette ignorance concernant le mangeur grâce aux progrès spectaculaires des sciences du goût.

L’Institut du Goût s’est appliqué à nourrir les contenus des Classes du Goût de ces connaissances nouvelles :

  • La physiologie sensorielle apporte des données décisives sur l’origine et l’ampleur des différences entre dégustateurs. Toutes les mesures de seuils attestent que les perceptions gustatives sont extrêmement variables d’une personne à une autre. Dans le domaine de l’olfaction, les différences de sensibilité sont aussi une règle. Elles se comprennent facilement quand on sait que les récepteurs olfactifs ont donc une forme différente d’une personne à une autre et qu’ils ne sont pas activables par les mêmes molécules odorantes.
    L’application pédagogique de ces données est immédiate et incontournable : chaque dégustateur détient sa bonne réponse. La pédagogie du goût permet donc de cultiver la confiance en soi, ainsi que l’écoute et le respect de l’autre.
  • Les neurosciences confirment que la dégustation est une “lecture” globale de l’aliment. Toutes les informations issues des différentes entrées sensorielles se réunissent dans le cortex frontal pour ne former qu’une seule et unique image multisensorielle.
    La pédagogie du goût ne peut donc pas se baser sur une démarche purement analytique ; elle doit plutôt prendre en compte les interactions entre les sens et effectuer des allers-retours entre “le tout et ses parties”.
  • Du côté des sciences humaines, la psychologie expérimentale et la sociologie de l’alimentation catalysent les avancées de l’éducation au goût. Ces disciplines apportent un éclairage très enrichissant sur la construction des préférences et du comportement alimentaire, avec une mention particulière pour les travaux concernant la néophobie chez l’enfant. Ces travaux indiquent notamment que la néophobie fait partie du développement normal de l’enfant : généralement marquée et rigide entre 2 et 5 ans, la néophobie devient plus flexible entre 5 et 7 ans, puis s’atténue significativement à partir de 7-8 ans.

 

Les formations à l’éducation sensorielle dispensées par l’Institut du Goût prennent en compte ce formidable pool de connaissances sur le goût et le comportement alimentaire de l’enfant. Elles y ajoutent une expérience de terrain riche de plusieurs décennies, abordant en particulier la posture de l’animateur en éducation sensorielle. En effet, la pédagogie du goût requiert une grande capacité d’écoute et une finesse d’analyse de la part de l’animateur ou de l’enseignant : gérer la diversité des réponses des enfants consiste à démêler les effets d’imitation au sein du groupe ou les confusions de vocabulaire (par exemple, “acide” est très souvent confondu avec “amer”) par rapport aux réelles différences de perceptions, imputables à des différences dans les équipements en récepteurs olfactifs ou gustatifs. L’animateur ou l’enseignant cherchera aussi à distinguer dans le discours d’un élève la simple répétition de mots entendus lors des séances par rapport à un discours authentique, personnel et exprimant réellement la subjectivité liée à une expérience sensible.

 

Une pédagogie en plein boom

Les années 2 000 voient apparaître un engouement très vif pour l’éducation au goût, sans doute à cause de l’inquiétante augmentation de la prévalence du surpoids et de l’obésité infantile et de l’efficacité très limitée de l’éducation nutritionnelle pour améliorer le comportement alimentaire des enfants. Depuis 2010, de nouvelles aspirations sociétales, notamment par rapport à l’alimentation durable, renforcent encore l’intérêt du grand public et des professionnels pour l’éducation au goût.

Cet engouement se traduit par :

  • Une reconnaissance de l’éducation au goût de la part du Ministère de l’Agriculture et du Ministère de l’Education Nationale, avec respectivement un Programme National pour l’Alimentation (PNA) intégrant les Classes du Goût et une mission pour l’Education artistique, culturelle et sensorielle lancée en 2018.
  • Un nombre croissant de programmes de recherche s’intéressant aux effets de l’éducation au goût sur le comportement alimentaire des enfants.
    Le 1er projet de Recherche consacré aux effets de l’éducation au goût est le programme Edusens (2005-2009), auquel l’Institut du Goût a pris part en collaboration avec l’INRA Dijon. D’autres programmes de recherche ont suivi la voie ouverte par Edusens en France, mais aussi en Suisse et en Finlande, en explorant principalement 2 dimensions : d’une part le vocabulaire de l’enfant, avant et après l’intervention en éducation sensorielle, et d’autre part l’évolution du comportement alimentaire de l’enfant, notamment la néophobie, la variété alimentaire et la consommation de certains aliments (fruits et légumes d’une part, dont la consommation est à encourager, et produits gras-sucrés ou gras-salés d’autre part, dont la consommation est à limiter). De plus en plus d’arguments expérimentaux attestent ainsi de l’efficacité de l’éducation au goût pour modifier le comportement alimentaire des enfants, en alliant hédonisme et santé. La revue des ces travaux fait également ressortir comme facteurs clés de réussite une pédagogie basée sur des expériences vécues plutôt que sur des apprentissages cognitifs, une implication d’une diversité d’acteurs éducatifs (dont les parents, obligatoirement) et une inscription de l’intervention dans la durée.
  • Une déclinaison des Classes du Goût pour les familles, grâce au projet « Goûts en Famille » piloté depuis 2016 par l’Institut du Goût, et les prémices d’une adaptation et d’un essaimage à l’étranger. Ainsi, le Japon, le Luxembourg et la Polynésie Française se sont appuyés sur l’expertise de l’Institut du Goût pour adapter les Classes du Goût à leur contexte et patrimoine alimentaire. Cette confrontation avec d’autres cultures alimentaires constitue une formidable source d’inspiration pour questionner les pratiques en éducation au goût et continuer à les faire évoluer.

 

 

Nathalie Politzer
Projects and Training Director
Institut du Goût, 28 Avenue Aumont, 60500 Chantilly, France
E-mail : npolitzer@idg.asso.fr

Spread the news