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M. François-Régis Mouton

Directeur Europe à l’International Association of Oil and Gas Producers (IOGP)

François-Régis Mouton

Pouvez-vous nous présenter l’IOGP, ses missions et compétences ?

L’IOGP est l’association industrielle internationale représentant le secteur Amont (Exploration & Production) de la chaine pétro-gazière. Nos Membres – un peu plus de 80 entreprises aujourd’hui – représentent plus de 40% de la production de pétrole et de gaz à travers le monde, et environ 90% en Europe. Notre objectif est de rendre ces opérations sans cesse plus sûres, responsables et durables. Nous le faisons en travaillant à l’amélioration continue des performances HSSE, opérationnelles, ou encore d’efficacité énergétique et en publiant une série de bonnes pratiques dans ces domaines. Il va aussi sans dire que pour atteindre cet objectif, nous collaborons avec les instances et régulateurs nationaux, régionaux et internationaux, comme l’Union Européenne ou l’Agence des Nations Unies pour l’Environnement.

Traditionnellement, le rôle de l’IOGP a porté sur les aspects plutôt techniques et opérationnels, mais face aux questions posées par le futur rôle de notre industrie dans la transition énergétique, nous sommes également le porte-voix de notre secteur à Bruxelles. Face à un discours souvent trop simpliste car pas assez informé – « il faut sortir des énergies fossiles dès aujourd’hui » – nous expliquons l’évolution continue des usages du pétrole et du gaz, le rôle important qu’ils continueront à remplir même et y compris dans le cadre de l’Accord de Paris, et les technologies que nous développons afin de réduire nos propres émissions, de nos clients et celles d’autres secteurs.

 

Quelles sont les grands chantiers afin d’adapter votre secteur d’activité à la transition énergétique ?

J’en compte trois.

Le premier est l’adaptation de notre offre. Les portefeuilles d’activités de nos Membres évoluent. La balance des réserves pétrole et gaz de nombreuses majors penche de plus en faveur du gaz ; il y a vingt ans, forer un puits et trouver du gaz était presque un échec – c’était de pétrole dont l’économie mondiale avait surtout besoin. Aujourd’hui, nous cherchons activement du gaz car la demande mondiale pour cette énergie flexible et moins carbonée explose, car elle est le substitut parfait au charbon et le complément idéal aux renouvelables intermittents et éminemment variables dans leur production d’électricité. On le voit peu, mais notre industrie investit également des sommes importantes dans les renouvelables, les batteries, et le secteur électrique en général. Leur offre s’élargit, et certaines se rebaptisent ‘energy companies’, et non plus ‘oil & gas companies’, afin de marquer le coup.

L’Europe et notre industrie sommes véritablement à présent entrés dans l’ère du « beyond petroleum » comme Lord Browne l’avait énoncé trop tôt, mais pas dans l’ère « without oil&gas » comme on l’entend trop souvent : la transition énergétique ouvre des opportunités, et nous sommes aussi là pour les saisir.

Le second chantier est le déploiement de technologies bas carbone à grande échelle, autres que les renouvelables : je parle surtout d’hydrogène et de séquestration et stockage de carbone (CCS). Nous capitalisons là sur deux atouts : le gaz naturel est aujourd’hui la principale « matière première » servant à produire de l’hydrogène pour les besoins industriels à grande échelle. Nous pouvons décarboner le gaz en séparant et stockant le CO2 qu’il contient et en injectant l’hydrogène dans le système énergétique. J’en viens au second atout – nous disposons non seulement de la technologie de captage et de stockage de CO2, mais aussi de centaines de réservoirs déplétés et souvent offshore, qui ont fait leur preuve d’étanchéité sur des millions d’années et qui peuvent donc servir à stocker d’énormes volumes de CO2 à des centaines voire milliers de mètres de profondeur et ce sur des centaines d’années.

Le troisième chantier est celui portant sur la réduction de notre propre impact environnemental – et ce dès le stade de la production de pétrole et de gaz.

Aujourd’hui par exemple, près des trois quarts des émissions des plateformes en mer du Nord britannique proviennent des générateurs électriques à base diesel ou gaz naturel. L’idée est donc de les remplacer par de l’électricité, et verte quand cela est possible. Cela passe par des projets à l’étude de gros investissements éoliens offshore en Mer du Nord ou même de câblage des plateformes depuis la terre ferme.

Mais notre industrie travaille aussi sur ce qu’il est convenu d’appeler depuis quelques années les « fuites de méthane ». Nous en sommes bien conscients – si le gaz est amené à jouer un rôle dans la transition, notamment en remplacement du charbon, il est crucial de minimiser son propre impact environnemental. L’industrie a récemment lancé de nombreuses initiatives de détection, mesure, et réduction de fuites de méthane. Des caméras infrarouges aux satellites, en passant par les drones, les moyens qui y sont consacrés par notre industrie sont importants. Au sein même de l’IOGP, nous sommes activement impliqués dans ce travail – nous regardons ce qui est efficace et ce qui l’est moins, et établissons des recommandations de bonnes pratiques pour nos Membres.

 

 

Comment l’industrie doit agir pour réduire son impact environnemental ? sans oublier le méthane ?

Cela passe par une reconnaissance du problème et par une discipline sans faille. Par le passé, nous nous sommes attaqués à la Sécurité de nos opérations. Les accidents étaient plus fréquents, plus graves, tout comme leurs conséquences – d’un point de vue opérationnel mais surtout humain. Nous en avons fait la priorité numéro un : elle est même devenue parfois une «valeur» de l’entreprise. Nous avons repensé notre approche à la Sécurité dans sa globalité et y avons consacré les moyens nécessaires. Aujourd’hui, les accidents sont devenus extrêmement rares et nous visons le chiffre zéro.

Nous en faisons de même pour le méthane. A travers l’initiative «Methane Guiding Principles» par exemple, nous commençons par des campagnes de sensibilisation auprès des employés de terrain et des décideurs les plus seniors de nos Membres. Puis, en partenariat avec des ONGs, universitaires et spécialistes de la réduction des fuites de méthane, nous les formons activement à mettre en œuvre les moyens et adopter les réflexes nécessaires à la résolution du problème. Nous avons commencé, il faut maintenant continuer – il en va de notre crédibilité.

 

Que représente aujourd’hui, pour les états membres, la taxation de produits (pétroliers/gaziers) ? et que pouvez-vous dire des apports financiers de l’E & P ?

Elle est considérable, et bien méconnue ! Chaque année, nos produits – bruts ou raffinés – représentent une contribution nette de l’ordre de €420 Milliards aux Etats Membres de l’UE + Norvège, dont €37 Milliards proviennent de l’E&P. Pour vous donner une idée, €420 Milliards c’est l’équivalent de près de 3% du PIB de l’Union Européenne, ou celui d’un pays comme la Belgique ou l’Autriche !

On entend souvent les ONG parler de subventions à notre secteur, mais c’est absurde au vu de ce que sa taxation rapporte ! En Europe, les interventions publiques consistent le plus souvent en moins de taxation pour une catégorie de clients en situation précaire, ou sur un produit plutôt que l’autre – par exemple le diesel vis-à-vis de l’essence jusqu’à récemment – ou des encouragements à l’investissement, ce qui au final rapporte immensément plus que le supposé ‘coût’ de la mesure. Les chiffres montrent que notre secteur a bénéficié de €3,3 Milliards d’aide publique en Europe en un an – pour €1 investi, c’est €130 récupérés !

Mais oui, il y a effectivement des subventions dans les pays et régions moins développés, où sans elles, la population ne pourrait se chauffer, s’éclairer ou encore se déplacer. Pensez-vous que ceux qui dénoncent ces aides s’en soucient ?

 

Dans une économie qui sera neutre en carbone, comment vont évoluer les utilisations du pétrole et du gaz ?

Il est certain qu’une Europe neutre en carbone ne risque pas d’être un marché de croissance pour le pétrole et le gaz. Mais on peut choisir de voir les choses en termes de volumes simplement, ou bien de valeur ajoutée.

En termes de volumes, pour ce qui est du pétrole, nous en consommerons moins dans le transport routier, et plus dans le transport aérien et la pétrochimie.

L’électrification des véhicules est en marche, mais c’est surtout l’efficacité des moteurs à combustion qui impacte la consommation de pétrole pour les véhicules. Quant au secteur aérien et à la pétrochimie, ils sont tous deux en plein essor et on voit mal ce qui les arrêterait. Pour ce qui est du gaz, nous en verrons beaucoup plus dans le secteur maritime, dû aux normes antipollution de l’Organisation Maritime Internationale à compter de janvier 2020, et probablement moins dans le chauffage, l’industrie et l’électricité, où l’électrification et l’efficacité énergétique prendront des parts de marché au gaz.

Pour ma part, j’aime à penser que l’on utilisera ‘mieux’ le pétrole et le gaz – à savoir pour des utilisations plus poussées, pour en faire des produits à plus haute valeur ajoutée. Des voitures électriques légères requièrent des plastiques de plus en plus légers et résistants. Des lubrifiants de haute qualité pour les éoliennes offshore. Des matériaux de construction issus de la pétrochimie rendront les habitations moins énergivores, etc. Résoudre le problème de la pollution liée au transport maritime serait une avancée fantastique pour la qualité de l’air respirée par les populations des zones portuaires dans le monde… et pour le gaz naturel liquéfié !
Je pense que c’est là que se trouve notre positionnement pour l’Europe, et pour atteindre la neutralité carbone en général – en termes de valeur ajoutée pour la société.

 

Comment répondre au défi climatique que nous devons relever ? le captage et stockage du CO2 peut-il être un atout ? que dire de l’hydrogène ?

C’est bien plus qu’un atout, c’est une nécessité. Aujourd’hui, le GIEC, l’Agence Internationale de l’Energie ou encore la Commission Européenne sont tous d’accord sur le fait qu’il sera impossible d’atteindre des objectifs climat ambitieux sans capter et stocker le CO2. Enfin, aurait-on envie de dire ! Il faut maintenant que le message passe au niveau politique, puis vers le public : il va falloir bien plus que du vent et du soleil pour résoudre le problème, et la solution ne passera que par un mélange complexe de technologies et changements d’habitudes.

Le CCS a longtemps été présenté par les ONG comme un moyen pour l’industrie des énergies fossiles de rester en vie dans un futur neutre en carbone. En réalité, stocker le carbone devient une nécessité pour bien d’autres secteurs, notamment l’industrie du ciment, du fer, ou encore de la chimie qui émettent du CO2 dans leur process industriel. Ce sera aussi une nécessité pour annuler certaines émissions qu’on ne peut éviter – par exemple le méthane émis par le secteur agricole, le carbone émis par l’aviation, etc. C’est pour ça que nous appelons à une coalition intersectorielle vaste pour la promotion du CCS en Europe – il nous faut rattraper notre retard de communication, et notre secteur est prêt à agir.

Quant à l’hydrogène, il est devenu le mot à la mode lors des discussions énergie et climat. Tout le monde parle « d’hydrogène vert » produit à base d’électricité renouvelables. Le problème est qu’on n’a pas assez de renouvelables, que ça coûte extrêmement cher à produire, et que les volumes sont et resteront microscopiques pendant longtemps. Dire l’inverse est pure chimère.

Si l’on veut favoriser l’émergence d’un marché hydrogène en Europe, il faut capitaliser sur la production actuelle, à base de gaz naturel. Le souci étant qu’actuellement, le CO2 produit par ce processus est aujourd’hui relâché dans l’atmosphère. En décarbonant le gaz naturel, c’est-à-dire en séparant et stockant le carbone qu’il contient et ne gardant que l’hydrogène, nous pouvons fournir de « l’hydrogène bleu » bas carbone à grande échelle. Ceci ouvrirait un marché Européen, créerait un écosystème et une chaine de valeur hydrogène et faciliterait l’intégration de l’hydrogène dit ‘vert’, dont la production restera plus locale et intermittente.

 

Pour conclure, comment de votre point de vue, tous ces points sont-ils perçus par les Etats Membres dans la préparation et la mise en place de leurs plans nationaux « Énergie et Climat » ?

Nous avons justement mené une longue analyse des premières ébauches des plans nationaux Energy & Climat pour le savoir, et il se trouve que l’ensemble est pour le moment assez en phase avec l’idée que nous avons.

Nous étions ravis de voir que la moitié (14) des Etats Membres ont une vision positive de l’Exploration & Production de pétrole et de gaz, et ce principalement pour des raisons de sécurité d’approvisionnement et d’alternative au charbon. Seule la France mentionne l’interdiction de l’E&P… ! Ce qui ne fera qu’accentuer notre déficit commercial mais aussi nos émissions, puisque le gaz produit dans le pays émet en moyenne 25% de moins de CO2 que celui qui est importé. Cette mesure dogmatique et unilatérale n’a donc aucun sens, en particulier pour le climat, pour lequel elle est même contreproductive !

Pour ce qui est du gaz, son rôle à travers les secteurs du chauffage, génération électrique, transport et dans une moindre mesure industrie leur semble évident jusqu’en 2030.

Les Etats Membres sont également quasi-unanimes sur la nécessité de déployer le CCS et l’hydrogène en Europe, avec l’exception notable (et là aussi totalement dogmatique et hors sol) du Luxembourg pour le CCS. Beaucoup y voient en effet une solution au problème des émissions industrielles de CO2. Seuls cinq Etats Membres voient cependant le lien entre gaz naturel et hydrogène – nous avons encore du travail à faire sur ce sujet !

Pour ce qui est du pétrole, nous étions peut-être un peu surpris de voir à quel point les Etats Membres partagent notre point de vue sur son futur rôle en Europe : Amélioration des moteurs thermiques, rôle dans la production pétrochimique, remplacement progressif du fioul dans le secteur du chauffage – c’est un tableau assez pragmatique que dressent les plans nationaux.

Pragmatique donc, mais ambitieux et progressiste – c’est ainsi que je décrirais ces plans. Il faudra tenir la barre et ne pas céder aux sirènes d’alarme, ne pas tomber dans le simplisme outrancier, dans l’anti-science, dans l’émotionnel et l’idéologique. Il faudra se respecter, s’écouter, s’expliquer, et surtout prendre des décisions réfléchies, rationnelles, et consensuelles. Notre industrie comprend, s’adapte et accompagne les changements que nos sociétés traversent – j’invite ceux qui ne le voient pas encore à y regarder de plus près.

 

International Association of Oil & Gas Producers
Av de Tervuren 188A,
B-1150 Brussels, Belgium
www.iogp.org

 

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