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Intervention du Commissaire Thierry Breton

Commission Culture du Parlement Européen

L’audition de Thierry BRETON, Commissaire désigné, Marché intérieur – Déclaration liminaire

Discours du 4 Mai 2020

Chère Présidente,

Chère Mariya,

Mesdames et Messieurs les Députés,

Merci pour votre invitation au sein de votre Commission. C’est la première fois, depuis ma confirmation en tant que Commissaire, que j’ai l’occasion de m’adresser à la Commission CULT. Et je me réjouis de pouvoir avoir avec vous cet échange, qui se tient dans des conditions particulières que nous connaissons tous.

Cette pandémie ne connaît ni frontière ni nationalité. Sa propagation rapide ne peut être arrêtée que si nous agissons ensemble avec urgence, audace, responsabilité et surtout dans un esprit de solidarité européenne.

Au-delà de l’urgence sanitaire, nous vivons un choc économique d’une ampleur inédite, sans précédent depuis 1929. Je le dis clairement la crise est et sera très importante

Tous les secteurs de l’économie sont touchés, certains plus durement et immédiatement que d’autres. Mais ne nous y trompons pas, les conséquences sur nos économies, les emplois, nos sociétés ne sont pas encore connues. Et le secteur culturel dans son ensemble n’est pas épargné. J’y reviendrai.

La première réponse européenne a été rapide et forte, avec l’injection de liquidité par la BCE, la relaxation des règles du pacte de stabilité, l’ouverture aux aides d’états, l’augmentation du capital de la BEI pour les PMEs et la proposition de soutien aux mécanismes de chômage partiel (SURE) de 100 milliards d’Euros.

Mais nous devons aller plus loin autour d’un plan de relance, comme annoncé par le Conseil européen. Dans ce cadre, je travaille depuis des semaines autour du concept d’écosystème, rassemblant tous les acteurs d’un même secteur au sens large. Mon but est d’identifier l’impact et les besoins pour chacun de ces écosystèmes

J’ai pu ainsi identifier 14 écosystèmes cohérents, dont les industries culturelles et créatives.

Les industries culturelles et créatives dans la crise

L’écosystème des industries culturelles et créatives représente près de 2% du PIB de l’Union, 1,8 millions d’emplois et plus de 200 000 entreprises, pour la plupart de petites PMEs, sans compter le nombre d’indépendants qui caractérise ce secteur très vivant.

Au-delà de son importance intrinsèque, le secteur est également clé pour la relance du tourisme, le tourisme culturel représentant 40% du tourisme en Europe.

Le secteur est durement touché par la crise.

Les cinémas, les salles de spectacles, les festivals sont tous fermés. Quasiment toutes les productions audiovisuelles européennes sont à l’arrêt. Les médias font face à une chute spectaculaire des revenus publicitaires. Les petits éditeurs locaux, les plus proches des citoyens, sont particulièrement touchés, mais les grands distributeurs sont également à la peine.

La situation de certains de nos journalistes est particulièrement précaire, comme l’est celle de tous ces intermittents du spectacle.

A très court terme, ce sont des problèmes de trésorerie très importants, avec des risques de faillites et des pertes d’emplois, en particulier pour les nombreux indépendants du secteur. C’est tout le tissu de ces petites entreprises qui font vivre notre diversité culturelle qui est en jeu.

La situation est sérieuse, je ne la minimise pas, bien au contraire. Je suis très conscient de ce qui se joue. Ce n’est pas seulement un raisonnement économique qui m’anime, c’est aussi une réalité sociale terrible et une crainte pour la culture, au sens large, dans ce qu’elle représente pour nous en Europe : nos valeurs européennes, cette part d’irrationalité, qu’il est impossible de percevoir ni de quantifier dans les chiffres et qu’il s’agit de préserver, de protéger.

Une réponse européenne

Face à ces défis sans précédent, les Etats doivent prendre des mesures spécifiques, notamment des aides d’état dédiées ou des reports de charges sociales. Nous les encourageons dans ce sens.

Mais nous travaillons aussi la réponse européenne.

La Commission prend toutes les mesures possibles pour soutenir le secteur.

En particulier, le programme Europe créative – et son volet MEDIA – sera assoupli et adapté aux besoins urgents de l’industrie pour donner un maximum de flexibilité.

Nous prévoyons une aide supplémentaire de 5 millions d’euros pour les cinémas les plus touchés par le confinement.

Le fonds de garantie pour les secteurs culturels et créatifs a été succès depuis son lancement en 2016, avec 420 millions d’euros de financement à plus de 2000 projets culturels et créatifs. Dans le contexte actuel, nous travaillons, avec le FEI, à un ensemble d’adaptations à la garantie afin de le rendre encore plus attractif et utile.

Enfin, les industries culturelles et créatives devront être aussi bénéficiaires du plan de relance européen en cours d’élaboration. Notre priorité à ce titre est double :

D’abord sauver les acteurs les plus fragiles de l’écosystème en leur assurant la liquidité nécessaire afin qu’ils puissent passer le plus dur de la crise. Cela passera aussi par une nécessaire réorganisation et adaptation dans la période de déconfinement. Revenir à la normalité prendra du temps.

Il s’agira ensuite de préparer l’ensemble de l’écosystème culturel à appréhender les transitions en cours, telles que le digital. C’était vrai avant la crise, cela devient urgent maintenant, la crise n’étant qu’un accélérateur des tendances préexistantes.

Il faudra très vite engager une réflexion et définir une vision pour l’avenir.

Le futur du secteur de l’audiovisuel et des médias

Chers membres de la Commission CULT, je souhaite que nous menions cette réflexion ensemble.

Car, au sortir de la crise, nos entreprises européennes des médias et de l’audiovisuel ne peuvent se retrouver affaiblies face à leurs concurrents mondiaux, qui eux bénéficieraient de plans de soutien massifs. C’est une question d’affirmation de nos valeurs et d’indépendance tant sur les contenus que sur les mediums.

J’ai donc la ferme intention de travailler avec vous et l’ensemble des acteurs afin:

  • De renforcer les acteurs européens par le biais d’une coopération transfrontalière plus structurée ;
  • De maintenir et de renforcer des conditions de concurrence égales, notamment vis-à-vis des plateformes ;
  • De préserver le budget alloué à Creative Europe, en comptant pour cela sur le soutien du Parlement ;
  • De tester des solutions financières nouvelles et innovantes pour soutenir le secteur des médias, en particulier au niveau local et régional ;
  • D’embrasser les technologies du numérique afin d’en faire de formidables diffuseurs de contenus européens de qualité.

Par ailleurs, et c’est mon intention, je compte maintenir les engagements annoncés sur le plan législatif.

Nous adopterons en juillet les lignes directrices sur la directive des services de médias audiovisuels

Le travail se poursuit par ailleurs sur les lignes directrices concernant la mise en œuvre des nouvelles règles applicables aux plateformes (l’Article 17 de la directive sur les droits d’auteurs).

Et bien entendu, nous présenterons d’ici la fin de l’année le Digital Service Act qui visera à accroitre la responsabilité des plateformes dans l’ensemble des activités de l’économie. Nous le ferons en gardant à l’esprit les objectifs de promotion de la diversité et du pluralisme des médias dans un vrai marché unique qui permettra aussi à de véritables plateformes Européennes de se développer.

A ce titre, je souhaiterais terminer ce propos en évoquant plus en détails la question de la responsabilité des plateformes.

J’ai été, ces dernières semaines, en contact avec de nombreux CEOs de ces plateformes:

D’abord auprès des plateformes de contenu et de streaming (Netflix, Youtube, Disney) pour leur demander d’agir en responsabilité sur la question de la résilience des réseaux internet, et d’abaisser volontairement et temporairement l’occupation de la bande passante ou changer la qualité par défaut des vidéos de HD à SD. Elles ont toutes agi, immédiatement, contribuant, il faut le dire, à relâcher la pression sur les réseaux.

Ensuite, dans le domaine du tourisme, de l’hôtellerie et du e-commerce, afin de faire en sorte que les plateformes soutiennent les plus petits acteurs de la chaine.

Et enfin, sur la question centrale de la désinformation dont nous avons vu une recrudescence inquiétante. Là encore j’ai appelé directement les plateformes et réseaux sociaux à leur responsabilité, notamment dans l’application du Code sur la désinformation, pour réduire la viralité ou supprimer des contenus faux ou trompeurs.

Et je note de vraies avancées, aussi bien dans la réactivité que dans l’efficacité des efforts déployés par les plateformes, preuve s’il en fallait que c’est possible. Ces efforts doivent être cependant renforcés. J’y travaille, en lien direct avec les principaux acteurs.

Dans cette crise, je crois que nous préparons une nouvelle relation avec ces plateformes, qui prennent conscience des responsabilités et obligations que leur position leur confère. Je le dis sans naïveté, ni complaisance aucune.

Les plateformes doivent aussi avoir une responsabilité claire de par leur position de « gate keeper » sur de nombreux domaines. C’est bien à ces plateformes de s’adapter à l’Europe, et non pas l’inverse. Nous y travaillerons ensemble dans les deux volets du DSA.

Madame la Présidente,

Je connais l’attention et l’intérêt sincères que vous, et l’ensemble de membres de cette Commission portez à ces questions. Sachez que je les partage.

Vous pouvez compter sur moi pour être vocal sur le besoin vital de soutenir les industries culturelles et créatives européennes, et à travers elles, la culture européenne. Nous n’oublions pas la culture dans cette crise.

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